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eux-mêmes, et il semble parfois qu’il y ait là une tactique pour se rendre insaisissables. Loin de s’offenser lorsqu’on les déclare inintelligibles, ils en tirent vanité, comme d’un fait qui révèle toute la supériorité de leur intelligence, — ils aiment mieux dire de leurs cerveaux, — sur ceux de leurs contradicteurs. Ces géans ne s’étonnent pas que des pygmées ne puissent pas se hausser à leur taille. M. Paul Deschanel citait l’autre jour à la Chambre M. Schœffle, ancien ministre d’Autriche, que nous regardons comme un socialiste d’État, en ce sens qu’avec son expérience politique et administrative, il s’est efforcé de rendre pratiques quelques-unes des utopies du socialisme. M. Jules Guesde a interrompu M. Paul Deschanel pour déclarer que M. Schœffle n’était pas un socialiste. « C’est un adversaire, a-t-il dit, qui a essayé de se rendre compte de ce qu’était la doctrine socialiste ; il l’a comprise dans la mesure où il l’a pu, et, quand il déclare insuffisante la théorie de la valeur de Marx au point de vue de la distribution des produits, il indique seulement l’insuffisance de son cerveau. » Il est bien difficile de mesurer la suffisance des cerveaux, et, quoi qu’en pense M. Jules Guesde, le degré de compréhension de la doctrine de Marx sera difficilement accepté par le bon sens universel comme une mesure exacte, puisque lui, M. Guesde, comprend intégralement cette doctrine, tandis que M. Schœffle ne la comprend que partiellement, et que M. Deschanel ne la comprend pas du tout. Rien n’est plus amusant que de voir les airs de pontifes des adeptes du socialisme. Ils se regardent comme les dépositaires d’une révélation supérieure, les chevaliers d’un Graal surhumain, et, si on approche d’eux, ils se réfugient dans les nuages de leur Olympe, d’où ils contemplent en pitié l’exiguïté cérébrale des humbles mortels. Ils ont bien raison d’agir ainsi, car lorsqu’on parvient à tes atteindre, on s’aperçoit tout de suite qu’ils ne sont que des sophistes dégénérés. Ils sont très forts pour détruire; mais « quand on leur demande, comme l’a dit M. Léon Say à Amiens, le plan du monument social destiné à remplacer celui qu’ils vont démolir, ils sont surpris. Étonnés de l’audace d’une telle interrogation, ils se réfugient dans les généralités. » Et ils s’y perdent.

Cette audace, deux députés l’ont eue au Palais-Bourbon. M. Jules Guesde avait adressé à M. le président du Conseil une interpellation à laquelle il n’attachait probablement pas l’importance que lui a donnée l’intervention inattendue de M. Bouge et de M. Paul Deschanel. Il s’agissait des pharmacies municipales de Roubaix, que le gouvernement a interdites au nom de la loi. Toutes les municipalités de France donnent gratuitement des remèdes aux indigens ; mais le conseil municipal de Roubaix a fait tout autre chose : il a employé l’argent des contribuables à créer ce qu’il regarde comme des pharmacies modèles, c’est-à-dire des pharmacies qui vendent leurs produits à tout le monde au prix de revient, ou même au-dessous. L’affaire en elle-même