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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




30 novembre.


La discussion du budget ne commencera que demain à la Chambre des députés : c’est bien tard pour aboutir avant le 31 décembre, mais il y a longtemps qu’on y a renoncé. Nous sommes condamnés d’avance à un nombre de douzièmes provisoires ignoré, probablement, jusqu’à ce jour. Il serait pourtant injuste de dire que la Chambre a perdu son temps pendant la quinzaine qui vient de s’écouler. Quelques-unes des interpellations qu’elle a eu à traiter ont amené des discussions utiles et brillantes. Enfin, elle a consacré quatre longues séances à l’expédition de Madagascar, ce qui n’est pas trop pour un objet de cette importance.

Cette session d’automne se divisera donc en deux parties à peu près égales, l’une politique et l’autre budgétaire : arrivés au terme de la première, il faut reconnaître que la situation s’est plutôt améliorée. On avait annoncé avec fracas la chute imminente du ministère. Nous ne confondons pas son intérêt avec celui du pays, et il serait excessif de dire que sa chute serait un malheur irréparable : pourtant, comme personne n’est prêt à prendre sa succession, et que, le lendemain de sa chute, la situation serait sans doute aussi confuse, sinon plus, que la veille, on ne peut que souhaiter au Cabinet actuel la force et l’énergie de vivre. C’est un souhait qu’il a réalisé jusqu’à ce jour avec beaucoup de bonheur. Il a montré du talent et, dans plusieurs circonstances, du caractère. Nous avons de très jeunes ministres qui ont toutes les qualités de la jeunesse. Ils ne sont pas encore le vieux parapluie dont parlait M. Thiers, sur lequel il avait tant plu qu’une goutte de plus ou de moins le laissait indifférent : pour un rien, ils regimbent et se cabrent. M. Poincaré, l’autre jour, n’a-t-il pas provoqué M. Rouanet en duel du haut de la tribune ? L’extrême gauche n’a pas l’habitude d’être ainsi traitée, et la surprise qu’elle en éprouve n’est pas sans lui causer quelque désarroi. Elle attaque, elle injurie, elle diffame et elle n’a trouvé jusqu’ici devant elle que des figures attristées et résignées. Même lorsqu’on discutait contre elle, c’était avec mille précautions et ménagemens, comme si on avait peur de froisser ces sensitives. Il n’en est pas tout à fait de même aujourd’hui. Le ministère ne se contente plus de se défendre : il rend coup pour coup, il prend l’offensive, il multiplie les appels du pied. La Chambre assiste à un spectacle tout