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aux anciens zouaves. C’est une joie que nous nous obstinons à leur refuser. Nous semblons ignorer le prix qu’ont pour tous les hommes et surtout pour les Africains les plaisirs d’imagination.

Si la retraite ne s’est pas tournée en désastre, l’honneur en revenait non seulement à la bravoure, à la discipline des soldats, mais à l’indomptable énergie de leur chef, à la confiance qu’ils avaient en lui, à la terreur salutaire qu’il causait aux sofas de Samory, qui l’avaient surnommé le Diable. Pourtant, quand il revint en France, on lui fit grise mine, on pensa se montrer généreux en gardant le silence sur ses actes et sur ceux de ses officiers. Que pouvait-on reprocher au commandant Combes? Était-ce sa faute si Samory, rassuré par notre inaction, avait repris l’offensive? Peut-être lui en voulait-on d’avoir montré trop de résolution dans des circonstances périlleuses, d’être un de ces officiers des troupes de marine habitués de bonne heure à prendre des décisions, en assumant des responsabilités.

Aujourd’hui les hommes de caractère sont facilement suspects. On l’a bien vu tout récemment encore. Il y avait un général de division que son admirable campagne dans le Soudan, les services qu’il avait rendus depuis, sa profonde connaissance de l’Afrique, son courage froid accompagné de prudence et d’une extrême attention à ménager le sang du soldat, semblaient désigner au commandement de l’expédition de Madagascar. On avait visiblement jeté les yeux sur lui; on lui avait demandé d’étudier la question, de présenter un projet, des plans, un budget. Tout le monde le croyait nommé, Il ne l’était pas. On s’était ravisé : la supériorité de son intelligence et la fermeté de son caractère avaient, parait-il, inspiré des craintes à des gens qui craignent tout; ils avaient décidé que, si on lui fournissait l’occasion de faire encore parler de lui, n’pourrait bien devenir un homme dangereux. Nous refusons aux tirailleurs sénégalais les plaisirs d’imagination, et ce sont des peurs imaginaires qui nous gouvernent. Cet incident a paru singulier; depuis longtemps nous ne devrions plus nous étonner de rien.


G. VALBERT.