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Il n’était pas au bout de sa tâche et de ses peines, il devait, sans perdre un instant, ramener tout son monde à Niagassola.

Revenus de leur surprise, les 5 000 guerriers de Samory se disposaient à refermer le cercle autour de lui, et il n’avait que 260 soldats pour leur faire tête. Il partit aussitôt, suivi par cette meute affamée et aboyante, qui s’efforçait de l’envelopper. Il fallait se battre chemin faisant, et la pluie qui ne cessait de tomber rendait la marche difficile. En arrivant au marigot Kokoro, il s’avise que la route lui est barrée par Fabou, l’un des lieutenans les plus célèbres de Samory, tandis que le chef noir est sur ses derrières et sur ses flancs. La position serait critique s’il ne savait qu’il peut compter sur ses tirailleurs indigènes, que, vieillis dans les guerres du Soudan, ils restent dans la main de leurs officiers et sont aussi dociles dans le combat qu’à la manœuvre. L’avant-garde franchit le marigot en amont et en aval, enfonce le centre ennemi; elle se forme en éventail, et le passage de la colonne s’opère en bon ordre. A un signal convenu, le capitaine Dargelos, resté seul avec sa section sur la rive droite, traverse à son tour le ruisseau au pas de course, pendant que les troupes rangées sur la rive gauche, après avoir déblayé le terrain, font face en arrière et, par des feux de salve bien dirigés, arrêtent la poursuite de l’ennemi. La route de Niagassola est ouverte, on atteindra bientôt ce refuge avec 28 blessés. « La conduite de tous a été digne d’éloge, disait le commandant Combes dans son rapport. Les tirailleurs, qui n’étaient pas appuyés par des troupes blanches, ont combattu dans un ordre parfait. Nous avons mis l’ennemi en déroute toutes les fois qu’il a tenté de nous arrêter ; nous avons fait halte chaque fois que c’était nécessaire. En un mot, notre retraite de Nafadié sur Niagassola s’est effectuée aussi lentement qu’il convenait pour prouver à l’ennemi que nous rentrions, non contraints par lui, mais par la saison qui ne nous permettait plus de tenir la campagne. » On était désormais hors d’atteinte ; Samory ne tarda pas à se replier sur le Bouré, et la vaillante petite troupe, après avoir laissé des garnisons dans les postes, rentrait à Kayes.

La défense de Nafadié et la retraite sur Niagassola sont un des épisodes héroïques de l’histoire si glorieuse déjà de nos tirailleurs sénégalais, qui nous ont toujours servis avec un entier dévouement et une inébranlable fidélité. Il serait juste et sage de donner quelques marques de sollicitude, de bienveillance à ces braves gens, dont nous aurons souvent besoin. Cependant notre gouvernement leur marchande ses récompenses et ses faveurs. Il en coûterait peu de leur accorder certaines satisfactions d’amour-propre, dont ils consentiraient à faire presque tous les frais. Ils aiment à mêler un peu de fantaisie à leur rude métier, ils ont du goût pour les couleurs voyantes. Ils portent à regret leurs tristes vareuses, ils voudraient avoir un uniforme qui les fît ressembler