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dans la direction du Sud-Ouest. Le capitaine Dargelos était monté sur une tourelle pour épier les mouvemens de l’ennemi, sans que personne le couchât enjoué. A 9 heures, on entendit au loin des coups de feu de plus en plus distincts ; on crut reconnaître le crépitement du fusil Gras. Un canon qui donna de la voix dissipa les derniers doutes. Les tirailleurs agitaient follement leurs fusils, en disant : « Touhab ! toubab ! les Français! les Français! » Les libérateurs approchaient. En apercevant le drapeau qui flottait au-dessus du tata, ils poussèrent un cri prolongé de : Vive la France ! Cette loque tricolore, déchiquetée par les balles, leur apprenait que l’honneur était sauf. Quelques instans après, les guerriers de Samory s’enfuyaient en désordre, et le commandant Combes se présentait à la porte du poste.

La marche de cet officier supérieur pour se porter au secours de Nafadié est, de l’avis des juges compétens, un des tours de force les plus extraordinaires qui aient été accomplis dans le Soudan. Le 2 juin, étant parti de Koundou pour Niagassola, il avait appris que le capitaine Louvel, bloqué à Nafadié, n’avait plus que des munitions insuffisantes et que les vivres lui manquaient. Il fallait le délivrer en quatre ou cinq jours au plus. Le commandant Combes franchit en 72 heures une distance de 135 kilomètres; il en fait 54 le dernier jour dans un pays sans chemins. Le 6, il trouve à Niagassola 60 tirailleurs venant de Kita. Il forme sa petite colonne de secours, comprenant une compagnie de 112 tirailleurs, un canon de 4 rayé de montagne avec deux canonniers, 14 fantassins de l’infanterie de marine et de la compagnie auxiliaire d’ouvriers et 15 spahis.

La colonne se met en marche ; le commandant s’est dit qu’avec son petit effectif, il lui était impossible de heurter de front les formidables positions occupées par l’ennemi en avant de Nafadié. Il se décide à faire un crochet à l’Ouest. La colonne suit des sentiers de chasse à peine frayés, et campe le 9 juin près d’un abreuvoir de fauves. Le 10, elle arrête son mouvement à l’Ouest pour revenir à l’Est, droit sur Nafadié. Elle se trouve bientôt en vue de Kolita, petit village à 800 mètres du poste. Les bandes de Samory, qui ne l’attendaient point, font face pour s’avancer à sa rencontre. Le commandant bouscule sofas et cavaliers. Mais arrive-t-il à temps? C’est là son doute et sa poignante inquiétude. — « Je n’ai été convaincu, a-t-il dit lui-même, de la réussite de ma manœuvre qu’en apercevant le drapeau tricolore, après avoir enlevé à l’arme blanche un marigot qui m’en séparait. À ce moment notre surexcitation à tous était telle que rien ne pouvait nous arrêter. De Kolita à Nafadié, je n’ai pas entendu siffler une balle, et cependant ce n’est pas ce qui nous a manqué! J’étais sourd et pouvais à peine crier; mais ma vue avait pris une acuité extraordinaire. » Il avait réussi, il n’arrivait pas trop tard.