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des forts pour courir la fortune de patrons indolens, faux ou timides, incapables de les défendre, et dont l’amitié était un péril ou une embûche.

Samory s’avançant toujours dans la direction de Niagassola et de Kita, la situation pouvait devenir grave si, par une offensive vigoureuse contre le plus entreprenant de nos ennemis, nous n’intimidions les autres. Le gouvernement ne paraissait pas s’en douter ; il rêvait encore de s’entendre avec les chefs musulmans : les illusions sont la grande ressource de la politique des demi-mesures et des demi-moyens. Le commandant Combes fut autorisé à agir dans l’occasion, mais en tenant compte des ressources dont il disposait. Le ministre ajoutait : « Je crois utile toutefois de lui rappeler que le département est dans l’impossibilité d’envoyer des renforts, si une action engagée mal à propos l’y obligeait. » On lui recommandait en conséquence de n’opérer qu’avec une extrême circonspection : « Lorsqu’il se croira en mesure de répondre du succès, il pourra chercher à agir avec vigueur, sans chercher toutefois à dépasser le but, c’est-à-dire en se bornant à obtenir les résultats qu’exigent notre propre sécurité et l’honneur du pavillon. » En l’exhortant à la prudence, le ministre prêchait d’exemple ; il s’arrangeait pour le rendre seul responsable de tous les incidens fâcheux qui pouvaient survenir : n’a-t-on pas dit que la politique est l’art de décliner les responsabilités ? Et pourtant, dans sa situation critique, le commandant Combes avait grand besoin de l’appui moral de son gouvernement. Il lui importait d’être certain que, quoi qu’il arrivât, non seulement il ne serait ni désavoué ni blâmé, mais que son ministre le défendrait contre tous les chercheurs de torts, prompts à condamner le malheur et les malheureux.

L’effectif dont il disposait pour la campagne 1884-1885 se réduisait à 17 officiers européens, 3 officiers indigènes, 155 hommes de troupes européennes, et 257 indigènes. Avec ces maigres ressources il devait rassurer nos cliens restés fidèles, faire rentrer dans l’obéissance ceux qui s’apprêtaient à faire défection, et qui déjà pillaient les caravanes au lieu de les protéger, et tenir en respect Samory, Montaga et Ahmadou. Il fit un si bon usage de sa petite troupe qu’après avoir châtié les pillards, il rejeta sur la rive droite du Niger les garnisaires de Samory. Une expédition conduite avec autant d’habileté que de vigueur lui suffit pour nettoyer toute la rive gauche, dans le triangle formé par Bamako, Siguiri et Niagassola.

Avant de partir pour Bamako, il avait dirigé sur Nafadié le capitaine Louvel avec la 4e compagnie de tirailleurs sénégalais et la mission de surveiller de ce point la rive gauche du Niger jusqu’au commencement de l’hivernage, saison où des pluies torrentielles rendent les communications si difficiles que les envahisseurs ne sont plus à craindre. Dans les