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sur ce point, on a jugé indispensable de désorganiser, à la veille des élections dernières, le corps qui nous tenait lieu d’armée coloniale : cette infanterie de marine aujourd’hui anémiée, faute d’un recrutement certain. Et quel est le moment choisi pour fusiller d’avance l’armée spéciale, en lui enlevant jusqu’à sa raison d’être ?

Le moment où l’on vient demander à ce pays, engagé dans les entreprises coloniales jusqu’à saturation, un nouvel effort dont notre énergie sera certainement capable, mais qu’il convient de mesurer avec réflexion. Après deux siècles et demi d’approches et d’hésitations, nous nous décidons à occuper un petit continent mal connu, difficile d’accès, qui est en superficie à la France comme 12 est à 11. Il le faut, c’est entendu : nous n’avons pas commandé l’heure, nous devons venger les nôtres, nous ne pouvons pas abandonner bénévolement les avantages économiques et politiques que Madagascar présentera dans l’avenir ; et le but ne peut être atteint que par une soumission totale de l’île. Allons-y donc. Mais quelle plus belle occasion de justifier l’effort, de relever les courages sur tout le front de notre ligne coloniale ? Loin de devenir une charge de plus, Madagascar peut être un allégement, si nous savons y trouver le point de départ d’une rénovation dans nos méthodes, si nous substituons là-bas à nos routines défectueuses des procédés rationnels et nouveaux, autant qu’on peut appeler nouveaux les outils dont nos pères se sont constamment servis pour les mêmes besognes.

On me pardonnera de rappeler en quelques lignes des solutions qui ont été proposées ailleurs. L’opinion a visiblement pris l’éveil sur deux points. Elle se résigne mal à voir quelques-uns de nos soldats, si petit soit leur nombre, s’éloigner des montagnes sacrées au pied desquelles ils montent la garde. On nous dit que le ciel est clair : tant mieux ; mais nous voulons les savoir là. Or, même en escomptant la plus facile victoire sur les Hovas, les besoins de Madagascar immobiliseront pendant longtemps un corps de troupes. L’opinion se préoccupe en outre des lourdes charges, financières et de toute nature, que la possession de Madagascar ajoutera à tant d’autres, sans espoir de rémunération prochaine. Les intentions sont aujourd’hui éclaircies : nous n’allons pas seulement châtier une provocation ; nous allons soumettre le pays entier. Quel que soit le nom donné à notre domination, tout y est à faire ; il faudra beaucoup d’hommes, beaucoup d’argent ; les colonies n’en attirent pas, dans les conditions où nous les administrons : on a beau regarder de tous côtés, on ne voit d’hommes que dans la troupe, d’argent que dans les caisses de l’État.

L’appel aux initiatives particulières peut obvier en partie à