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dont je parlais plus haut; et la mise en valeur ne peut être attendue que d’un changement de système, d’un appel aux forces libres.

J’ai loué de grand cœur l’initiative politique des pouvoirs publics, leurs efforts pour assurer à la France un vaste domaine d’expansion. Je suis bien obligé de reconnaître, avec l’unanimité de l’opinion, que leur pratique administrative a été détestable. Ce n’est pas eux seuls qu’il faut accuser, c’est nous tous, nos mœurs, notre routine, notre réglementation étroite et tracassière, notre docilité de centralisés à outrance; c’est le relâchement de l’autorité, qui engendre la permanence des conflits ; c’est le recrutement des fonctionnaires parmi les victimes ou les créatures de la politique. Colonie de fonctionnaires où les colons sont gênans, telle est, trop souvent, la définition de nos établissemens d’outre-mer. Je rapportais ici, en 1890, à propos de l’abandon de Whidah au Dahomey, les doléances significatives attribuées par le journal le Temps à des chefs de maisons françaises, « qui préféraient l’administration dahoméenne à la nôtre ». Los lecteurs de la Revue n’ont pas oublié les études sur la colonisation anglaise où M. Chailley-Bert établissait des comparaisons affligeantes pour nous. Il est aussi inutile que pénible d’insister sur ce sujet : le procès de nos pratiques coloniales est instruit depuis longtemps, jugé de même par le monde commercial et par tous les voyageurs. Le système français peut se définir ainsi : faire à grands frais un lit sans savoir qui viendra y coucher et si quelqu’un y viendra coucher. Partout où de vraies colonies se sont fondées, ceux qui avaient envie de se coucher ont fait eux-mêmes leur lit, à leur guise et sur remplacement de leur choix. La bonne colonisation est un phénomène de génération spontanée, organique, très peu susceptible de direction gouvernementale. Il se produit ici ou là, réussit ici, échoue là, en vertu de causes complexes et mal connues.

Une conclusion s’impose : l’inutilité de diriger les émigrans de bonne volonté sur nos colonies déjà « organisées », l’urgence qu’il y a à leur assurer des champs d’expériences dans les parties de notre domaine africain encore indemnes de toute administration.

Nous en revenons toujours à cette supplication vaine, aujourd’hui comme il y a quatre ans : Donnez-nous la loi constitutive des grandes compagnies à charte! Le projet a été déposé au mois de juillet 1891 sur le bureau du Sénat; voilà trois ans et demi qu’il sommeille dans les vénérables cartons de la haute assemblée. On se lasse de redire toujours, et il faut toujours le redire, que la France a dû jadis sa grandeur coloniale, comme l’Angleterre doit aujourd’hui la sienne, à cet instrument puissant et commode, à