mots définiraient mal la longue lutte poursuivie afin de soumettre le peuple arabe, et qu’ils ne s’appliqueraient guère mieux à la conquête de l’Algérie qu’à la réduction de la Corse. Un réveil de nos anciennes ambitions se produisit sous le second Empire, avec les progrès méthodiques de Faidherbe au Sénégal, avec notre établissement en Nouvelle-Calédonie et en Cochinchine. Ces premières tentatives ne furent que des intermèdes négligeables entre nos guerres continentales et nos expéditions lointaines; celles-ci iniquement inspirées par des raisons de politique générale, comme les campagnes de Chine et du Mexique, comme l’intervention en Syrie. Elles ne marquaient pas une orientation décidée, irrésistible, vers l’expansion coloniale.
Cette orientation n’a reparu qu’après l’écrasement de 1870. Divers symptômes l’ont accusée clairement aussitôt que s’est dissipée la première stupeur de la défaite. Les historiens de l’avenir, lorsqu’ils dégageront les conséquences du tragique événement qui a changé tant de choses dans le monde, y verront surtout le point de départ d’un mouvement mémorable, l’impulsion qui a précipité la France et l’Europe elle-même hors du champ habituel de nos démêlés, sur des contrées insoumises jusqu’alors à la civilisation. Etrangers à nos regrets, à nos douleurs, à nos espérances, uniquement soucieux de déterminer les lignes générales de l’évolution du siècle, ces historiens perdront de vue le conflit particulier de deux nations, ils élèveront plus haut leurs jugemens ; la fortune de l’Allemagne et l’infortune de la France leur paraîtront des accidens de peu d’importance, en comparaison de l’ère nouvelle inaugurée sur le globe par la transformation des activités européennes. S’ils sont justes, ils rendront hommage à la vitalité de notre nation : terrassée, refoulée hors de son ancienne sphère d’influence, condamnée pour un temps à l’inaction sur ses frontières continentales, elle a rebondi, elle a trouvé un emploi nouveau de son énergie, elle s’est jetée à la mer pour dépenser cette énergie sur des territoires qu’on n’avait pas songé à lui disputer.
En 1873, Francis Garnier ancrait ses deux canonnières dans le delta tonkinois du fleuve Rouge ; il s’emparait en six semaines, avec cent quatre-vingts hommes, d’un royaume de cinq ou six millions d’âmes. Ses lieutenans prenaient d’assaut des places régulièrement fortifiées, défendues par de nombreuses garnisons, M. Balny avec vingt-six hommes, M. Hautefeuille avec six! Cette prodigieuse épopée, sans précédent depuis Cortez, est le fait initial auquel il faut rapporter la résurrection de l’esprit d’aventure et, par suite, de l’expansion coloniale, seul cadre où cet esprit puisse trouver des satisfactions licites dans nos sociétés modernes.