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avec un demi-sourire, la splendeur de son génie, splendidi ingenii sui nobilitatem. Car ce notaire avait été moraliste et poète, et ce poète avait parsemé ses vers de contes en prose. A regarder les choses de plus près, on peut le signaler comme l’inventeur, à Florence, de la morale expérimentale et pratique. Dans ses deux grands ouvrages versifiés, le Reggimento e Costumi di Donna, — Éducation et Mœurs de la Femme, — et les Documenti d’arnore, Préceptes d’amour, enfin, dans ses Fiori di novelle, aujourd’hui perdus, c’est bien de la Florentine et du Florentin qu’il a voulu assurer le bonheur par la vertu et aussi par mille petites recettes ingénieuses contre la malice ou la perversité du prochain. Ses Nouvelles ne sont que des preuves à l’appui de ses préceptes. Aussi convient-il, avant de prêter l’oreille au conteur, d’écouter le moraliste. Et nous n’aurons pas perdu notre temps.

Barbe ri no, quand il prêche les bonnes mœurs, est loin d’être ennuyeux. La naïveté et l’ironie, la bonhomie, la droiture de cœur, la timidité et le bon sens le plus fin, forment en lui un mélange très piquant des meilleures qualités de la conscience et de l’esprit. Ce qu’il prise surtout dans la vie morale, c’est la modération, la réserve, la prudence. Il recommande la chasteté et la virginité pour la paix et la dignité qu’elles assurent à la femme, non pour l’auréole dont elles couronnent les vierges de la Légende Dorée. Il nous met sans cesse en garde contre les enthousiasmes irréfléchis, les illusions du cœur et de l’imagination, les entraînemens de la passion. Il souhaite, tel qu’un disciple d’Epictète, que l’on considère les choses comme elles sont, non comme elles paraissent. Si l’on endure quelque calamité, la sagesse veut que l’on pense à une plus grande encore qui pourrait survenir, et qu’on se résigne, en tirant du mal le meilleur parti possible, avec l’espérance obstinée d’un retour heureux de la fortune. Il n’a pas l’âme chevaleresque, méprise les tournois des seigneurs provençaux, les dangers brillans et inutiles. Mais il hait encore plus la lâcheté : « Mieux vaut mort d’honneur que vie mauvaise. » L’adresse est néanmoins à ses yeux une bien belle vertu : « Les adroits sont supérieurs aux forts; l’habileté, l’art et la patience emportent plus que la violence les villes et les provinces ; mais là où toutes ces qualités sont d’accord, elles font le succès certain. » Avec ces vieux Florentins, on va toujours à leur cher fils Machiavel.

Pour l’honneur et la sécurité des femmes, Barberino est d’une inépuisable sollicitude. On n’a vu jamais de directeur d’âmes plus scrupuleux ni plus méthodique. Afin de ne négliger aucun bon conseil, il classe, comme en des cartons d’archives, tous les âges, toutes les conditions sociales et religieuses de la femme, depuis l’adolescence jusqu’à la vieillesse, de la reine à la plus