Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/671

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’avoir vu cent fois la face du prince. Les sages de la cour lui sont bientôt dépêchés par Frédéric, et le questionnent sur l’emploi de son argent. Le forgeron se fait d’abord remettre cent besans d’or, qui portent, d’un côté, la tête de l’empereur, de l’autre, l’empereur à cheval. Après avoir contemplé, l’une après l’autre, les cent effigies sacrées, il raconte aux docteurs sa façon de vivre. Rappelé par Frédéric, il explique à « son cher père et seigneur » qu’il a bien tenu sa promesse, ayant vu cent fois, avant de rien dire, la face de l’empereur ; il a d’ailleurs gardé les cent pièces d’or. L’empereur se met à rire et dit : « Va, bonhomme : tu as été plus fort que mes sages. Que Dieu te donne bonne aventure ! »

Dante, plus catholique cette fois que gibelin, amis Frédéric II dans la cité dolente, mais sans le flétrir, là où les hérésiarques et les impies, dressés tout debout sur leurs sépulcres de fer rouge, semblent « avoir l’enfer en grand mépris. » Il a montré et fait parler ses concitoyens Farinata et Cavalcanti, mais il n’a pas osé évoquer le fantôme du César souabe, dont la fière devise avait été : Potius mori quam fœdari. Il se trouva plus à l’aise avec l’atroce Azzolino, le bourreau de l’Italie lombarde : il le plonge « jusqu’aux cils » dans la rivière de sang vermeil bouillonnant, le bollor vermiglio, réservé aux assassins et aux massacreurs de peuples. Or, sur ce point encore, il est curieux de remarquer l’indulgence des traditions gibelines choisies par le Novellino : « Dire combien il fut redouté serait un long travail : et beaucoup de personnes le savent. » Et c’est tout, deux lignes vagues jetées dans une suite d’histoires où le tyran de Padoue n’est vraiment sévère qu’à l’égard d’un juge embarrassé sur le cas d’un voleur et à qui Azzolino, tout en traversant la salle d’audience, avait répété trois fois : « Eh bien! pendez-le. » Le juge, pour avoir fait la sourde oreille, fut pendu et le voleur absous. Les autres contes ne témoignent que d’un despotisme tempéré, qui ne va pas sans une certaine grâce humoristique. Un jour, Azzolino annonce qu’il distribuera de grandes aumônes, des vêtemens neufs et des vivres à tous les pauvres besogneux, « hommes et femmes », réunis dans le pré de la ville. La foule fut énorme, un vrai pardon de Bretagne. Les sénéchaux dépouillèrent et déchaussèrent tout ce monde ; puis on les vêtit à neuf et on servit le dîner. Mais les convives réclamèrent leurs vieilles loques : Azzolino refusa de les rendre, fit entasser toutes ces guenilles sur une colline, et l’on y mit le feu. Dans les cendres il trouva tant d’or et d’argent qu’il paya la dépense et au delà. « Puis il renvoya ces pauvres à la grâce de Dieu. » Sancho, gouverneur de Barataria, n’eût pas été plus subtil. Voici encore un jugement bien digne du vicaire de Frédéric II : Un paysan se plaint de son voisin, qui lui a volé des