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au bord des ruisseaux d’eau vive où ils trempaient leurs croûtes de pain sec, à l’imitation du Père séraphique !

Et l’Italie, avec une impatience enfantine, demandait toujours des histoires nouvelles. Vers la fin du XIIIe siècle, un bon évêque de Gênes, qui connaissait bien l’âme de ses ouailles et le génie de son temps, écrivit la Légende Dorée, toutes les aventures édifiantes du christianisme naissant et de l’Eglise, depuis saint Jean l’apôtre jusqu’à saint Thomas le docteur ; et cette Légende, en son petit volume, renferme autant de merveilles et un plus riche trésor d’émotions candides que l’énorme compilation des Bollandistes. Puis, un conteur inconnu fondait pêle-mêle dans les Reali di Francia toute la matière de nos poèmes carolingiens, déformée, embellie par des intrigues semblables à celles de Boccace, des tours de fourberies joyeuses qui rappellent nos fabliaux, des épisodes mystiques dignes des Fioretti. Plus tard encore, les poètes héroï-comiques, Pulci, Bojardo, l’Arioste, transposèrent en fictions amusantes les souvenirs de nos Chansons de geste, et leurs poèmes, découpés en octaves, sont disposés non pour la lecture muette, mais pour la déclamation publique. On les a récités jadis, dans les hautes salles décorées de fresques éclatantes, pour le plaisir des princes, des dames lettrées et des cardinaux; on les récite encore aujourd’hui, au môle de Naples comme au jardin de Venise, devant les lazzarones, les pêcheurs et les capucins. Et ce peuple, si sensible aux plaisirs de l’oreille, content de ses nouvelles, de son Morgante et de son Roland, a pu se passer de théâtre original : il a, si vous le voulez. Polichinelle, Stenterello, Arlequin et Pantalon, et la longue tradition banale de la Commedia dell’ Arte ; mais ses comédies, même la Mandragora, ne sont que des imitations de la comédie latine, écrites pour des humanistes et des prélats d’allègre humeur ; les pièces de l’Arétin ne se soutiennent que par l’intrigue tirée directement des vieux contes populaires et l’atroce satire prodiguée par le pamphlétaire. Quant à la tragédie, les Italiens s’en sont tenus toujours aux scènes de leur vie communale ou princière, tout empourprée de sang. César Borgia fratricide valait bien Macbeth régicide ; Clément VII déchu, outragé par les bandits à la solde de Charles-Quint, n’était pas moins pathétique que le roi Lear, et toutes les (terreurs de Shakspeare pâliraient en face de la chronique intime des Malatesta, des Estes, des Sforza, des Farnèses et des Garaffa.

Cette race passionnée pour les beaux discours s’est toujours servie, pour l’avancement de ses affaires temporelles, du prestige et des surprises de la conversation. Ce n’est pas sans raison que, dans l’âge d’or de leur diplomatie, les Italiens appelaient orateurs les envoyés de leurs princes ou les ambassadeurs de Florence et