— Padre, che cosa fare[1]? demandait-il avec perplexité au religieux, qui sortait du presbytère. Il l’avait attendu devant une sorte d’abreuvoir ou de fondrière, pavée de glace, blanchie de lune.
— Frappons n’importe où, répondit le Père ; mangeons n’importe quoi...
Ils s’engagèrent sous une voûte et débouchèrent dans la cour d’une ferme. Une grange était ouverte, que des zouaves exploraient avec une lanterne ; de la lumière et des voix sortaient d’une chambre, sans doute pleine, car des ombres passantes se projetaient incessamment sur les carreaux de la fenêtre. Le Père posa son sac et son bâton sur un banc, contre le mur; puis il mit la main sur la poignée de la porte, qui résista.
— On n’entre pas, cria une voix. C’est complet !
— Je suis le Père Antonin...
— Bien ! bien ! Entrez alors !
Ferdinand de Charette, Henri de Verthamon, plusieurs autres, groupés autour de la cheminée dans des attitudes lassées, surveillaient une soupe et des pommes mises à cuire devant le feu. Une vieille circulait et grognait au milieu d’eux, préparant quand même leur couvert, mais n’interrompant pas son discours maussade, bredouillé pour elle seule, et qui ne sortait pas de sa bouche sans dents. Un lumignon, noyé par la clarté de l’âtre, tremblait sur la table épaisse ; derrière les rideaux à ramages qui cachaient le lit, un dormeur soufflait et s’agitait. Le lait chantait dans le pot; les fruits crevaient sous la cendre ; l’horloge, avec son tic tac, émiettait doucement l’heure.
Ils s’assirent et mangèrent; mais le tromba, ne trouvant point de place sur le banc, resta mélancoliquement debout les mains dans les poches. Il regrettait maintenant une ration de pain dont il avait fait fi l’autre jour à Marchenoir, la jetant avec violence contre la porte de l’église, et s’amusant de voir là cette boule de pâte gélatineuse aplatie, collée, pendue.
— Mon Père, encore une pomme... disait Verthamon.
— Merci, j’ai beaucoup mangé... répondit le religieux. Comme pour se détendre, il alla quelques pas distraits dans la chambre, puis sortit. N’ayant pris que le temps d’ouvrir son sac et d’en tirer un objet, il reparut, et déposa sur la table un pot de confitures.
— Des confitures ! des confitures ! criaient-ils en faisant autour de lui des gestes joyeux. Vive le Père!... Evviva il Padre!
— C’est le bon curé de Gémigny qui me les a données, reprit-il. Partagez-les bien soigneusement : chacun pourra en avoir un peu.
- ↑ Père, que faire?