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les environs. « Où est mon corps d’armée? « allait-il demander; mais le Gouvernement, prévenant toute question, lui adressait l’ordre pressant de se rabattre sur Vendôme et de couvrir Tours. Marche, contre-ordre, contremarche : cette fois, le général Fiereck n’était plus à Châteaudun. Tout ce que Sonis pouvait espérer de lui manquait donc à la fois : renseignemens sur la contrée, état des approvisionnemens, registres d’ordres, traditions, conseils et jusqu’à cette bonne collection de cartes qu’ils avaient commencé de feuilleter ensemble. Rien dans la ville, ni bureaux de place, ni personnel d’état-major. Entrant dans cette solitude, Sonis entamait avec le délégué à la guerre ce dialogue télégraphique : « Qui commande ici? — Vous. — Pour combien de temps? — Faites comme si c’était pour toujours. »

Comprenant enfin qu’il ne devait compter que sur lui seul, il choisissait Marboué, au nord de Châteaudun, pour le rassemblement de ses forces. Ses jeunes régimens arrivaient d’heure en heure, à peu près équipés : leur vue l’exaltait; et jugeant qu’il ne leur manquait rien que l’action salutaire, et l’effort d’où naît l’énergie, il préparait pour le 25 novembre une expédition propre à leur donner confiance en eux et en lui : c’était une reconnaissance offensive dirigée, au nord-ouest, vers la ville de Brou. La veille du jour choisi pour ce mouvement, il adressait des ordres exprès au général Deflandre, chargé de l’exécution ; le jour même, montant à cheval à l’heure dite, il s’étonnait de trouver le camp parfaitement silencieux. Et tirant inquiètement sa montre :

— Les troupes sont-elles déjà parties? demandait-il au factionnaire.

— Non, mon général : le réveil n’est pas sonné...

Deflandre assistait ce matin-là à un conseil de guerre; il n’avait pas reçu les ordres; rien n’était prêt. Il fallait donc le suppléer sans retard et prendre son monde au dépourvu, faire chercher les officiers, les faire lever; parcourir ce camp mal discipliné où les soldats heurtaient leur général et ne le saluaient pas; attendre à la place d’armes les compagnies, qui arrivaient égrenées et qui partaient incomplètes; assister enfin, rongé d’impatience, à la lente reconstruction de cet assemblage militaire, qu’il restait ensuite à soutenir, à pousser, à piloter jusqu’au bout de cette laborieuse journée. Et quand, après vingt-quatre heures de marche et de combat, Sonis ramenait cette colonne à Marboué, éclairé cette fois sur son peu de solidité, tristement certain que non seulement la confiance, mais que toute liaison intestine, que toute volonté commune, bref, que tout ce qui fait une troupe manquait encore à cette troupe; alors, les soldats épuisés dormant sur la paille et sous la toile, un ordre nouveau survenait de