Les mobiles des Côtes-du-Nord composaient l’avant-garde. A trois cents mètres derrière eux, venaient les deux clairons des zouaves pontificaux, les trombi, ainsi qu’on les appelait encore par une habitude importée d’Italie. L’un d’eux, Tulane, était Français; l’autre. Italien, se nommait Colossandri : de tout jeunes gens, dont les figures imberbes riaient sous le képi, dont les nuques gracieuses se mouvaient et se balançaient à l’aise dans la large encolure des vestes de tartan. Mêlant leurs deux idiomes en une langue mixte qui les amusait, jargonnant, se houspillant, ils s’excitaient l’un l’autre à cette allure légère, rythmique, que leur musique leur avait apprise ; et, par momens, la voix mécontente du colonel, les rappelant à leurs intervalles, leur faisait prendre une cadence mourante, pareille au piétinement d’un paralytique.
En effet, le colonel de Charette les suivait à vingt pas, tenant la gauche du général de Sonis. L’un et l’autre, transis de froid, avaient mis pied à terre; ils causaient, les brides de leurs chevaux passées sous leurs bras. Les officiers de l’état-major étaient derrière; puis les spahis de l’escorte, penchés sur leur pommeau, raccrochés sur leurs courtes étrivières, grelottant dans leurs burnous ; le régiment enfin, masse grisâtre et morcelée qu’agitait le balancement des torses mouvans, le mouvement alterné des bras posant et reposant des bâtons à terre, le haussement brusque des épaules lasses de leur charge et qui secouaient aussi les piquets de tente attachés au paquetage.
La troupe était neuve, ainsi qu’il paraissait à la variété des prestances et des allures ; car ces hommes de tout âge et de toute provenance ne se courbaient pas dans l’attitude servile du fantassin longtemps terrassé par le sac ; mais, soldats par accident et par volonté, ils portaient à leur façon leur harnais de circonstance et les armes de leur choix. Ainsi, leur ensemble aurait pu paraître aussi disparate qu’aucun des corps francs levés à la hâte en ces jours troublés, si l’expression d’un même sentiment n’eût été lisible à la fois sur ces mines d’aristocrates et sur ces masques de paysans. Les plus las avaient aux yeux quelque chose d’allègre ; les plus forts, quelque chose de triste. Usés par la faim et la veille, ils avaient beau revenir à cet aspect inférieur et comme animal de l’homme qui pâtit dans son organisme et qui décline dans sa pensée : ils demeuraient exempts de cet égoïsme qui est la forme mentale de cette déchéance et dont si peu de troupes, une fois entamées par la guerre, peuvent éviter la fatale contagion. Ceux-ci, au contraire, s’appuyaient les uns aux autres; plusieurs portaient deux fusils ; on sentait entre eux comme le lien d’une camaraderie secrète. Et le scapulaire de flanelle blanche, attachant