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portée des plus petites, devaient former une espèce de cité desservie par tous les moyens modernes que fournissent la vapeur et l’électricité, des wagons rapides comme l’éclair déposant, de porte en porte les repas commandés au siège de l’Association, des repas simples ou magnifiques au choix, sans que les heureux habitans eussent aucun soin à prendre, sauf celui de recueillir la manne apparemment tombée du ciel. Au milieu du square qu’entouraient ces demeures indépendantes les unes des autres, se trouvaient des bâtimens fastueux communs à tous, où l’on pouvait selon les circonstances retenir une salle de bal, organiser un banquet, donner une fête quelconque. Confort, économie, ressources variées, tant matérielles qu’intellectuelles, depuis la bibliothèque jusqu’au terrain de gymnastique, rien ne manquait aux familles, rassemblées ainsi en société coopérative, sans aucun contact incommode, sans même avoir besoin de se connaître. La réalisation d’un pareil projet serait un pas décisif fait vers les rêves de l’an 2 000 tels que les a conçus naguère M. Bellamy[1], dont le livre par parenthèse semble, quand on le relit aux États-Unis, beaucoup moins fantastique que lorsqu’on l’ouvre en France pour la première fois, Mrs Goleman Stuckert m’intéressa par ses convictions ardentes, sa prodigieuse faconde, par tout ce qu’elle racontait, de ses propres expériences de maîtresse de maison et de mère de famille dans la ville Reine des Plaines qui, selon Hepworth Dixon, ne renfermait pas une seule femme en 1866 et qui compte aujourd’hui 150 000 habitans ! Son intention est de venir en Europe, exposer des plans économiques, destinés, dit-elle, à un succès universel. J’aurais entrepris en vain de lui prouver que l’association n’est guère dans nos mœurs ; que, si républicains que nous soyons devenus, nous avons encore des domestiques ; et enfin que nous nous méfierions toujours, étant gens à préjugés, des sauces faites à la fois pour tant de monde. Je me bornai donc à des complimens. Elle devra se hâter de prendre un brevet d’invention, car il m’a semblé, en voyageant à travers les divers États, que son idée était venue à d’autres avec des perfectionnemens de toute sorte : un certain tube pneumatique par exemple, destiné à faire circuler les plats comme s’ils étaient autant de « petits bleus », doit remplacer avec avantage le char aux provisions, même électrique.

Tous ces projets accueillis avec faveur, au moins en théorie, témoignent d’une tendance croissante, malgré le succès des écoles de cuisine, à se contenter de la vie de pension et d’hôtel plus ou moins déguisée. La Française ne s’en accommoderait pas, parce qu’elle tient, fût-elle pauvre, à son « chez elle « ; mais il faut se

  1. Voir, dans la Revue du 15 octobre 1890, la Société de l’avenir.