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qu’elle-même tenu à s’occuper du baby à faire les provisions, etc. Les gros travaux ne la regardent pas. Dans les stalles du marché ce sont les hommes qui vendent, vous ne verrez jamais une femme assise à la caisse de la boucherie ou de l’épicerie qui appartient à son mari, l’aidant en sous-ordre, prête à prendre avec intelligence la suite des affaires si le chef de la maison vient à manquer. Non, le père de famille, qu’il soit millionnaire ou pauvre diable, doit subvenir aux besoins de sa femme. Si celle-ci veut travailler de son côté, c’est généralement dans une tout autre branche que lui ; elle ne sera pas l’associée, l’humble satellite, elle vole de ses propres ailes où bon lui semble.

Comment un peuple qui gagne beaucoup pour dépenser de même ne mépriserait-il pas les petites combinaisons de cette économie que chez nous on encourage ? L’épithète de mean, la plus injurieuse de toutes, leur serait très vite appliquée. Gaspillage, waste, est, au contraire, en Amérique synonyme de magnificence. Dans les hôtels, la consigne donnée aux garçons blancs ou noirs, qui servent à table, paraît être de perdre et de gâcher ; dans les maisons particulières les domestiques sont très souvent pénétrés des mêmes maximes. Et que de peines pour les trouver et les retenir, ces domestiques, même mauvais !

S’attendre à quelque attachement de leur part serait d’ailleurs présomptueux. Le goût général des voyages s’y oppose. Les maîtres renvoient leurs domestiques aussi facilement que ceux-ci les quittent. Avec une égale insouciance, beaucoup de gens assez riches louent, pendant une absence plus ou moins longue, leur maison de ville ou de campagne à des étrangers. Ils s’étonnent de ne pouvoir trouver de même en France une maison toute montée, un château héréditaire quelconque à louer pour une ou deux saisons. Et nous n’arrivons pas à leur faire admettre nos répugnances, que les Anglais du reste n’éprouvent guère plus que les Américains, tout en se piquant d’être seuls à comprendre le home pour lequel, disent-ils, nous n’avons pas même de mot.

Le problème de la vie domestique qui existe partout en Amérique et ne peut être résolu qu’à grand renfort d’argent devient, dans les États de l’Ouest plus compliqué encore.

Une de mes premières surprises à Chicago fut la curieuse conférence faite par une dame de Denver, Mrs Goleman Stuckert, sur un projet de son invention qui simplifierait singulièrement les choses. D’abord elle déroula pour illustrer son discours une série de plans, de dessins d’architecte, représentant des maisons de toute dimension et à tout prix dans les styles ultra-composites qu’elle qualifiait de vénitien, de roman, d’espagnol, que sais-je ? Ces édifices mis au service des bourses les mieux garnies et à la