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qui concerne leur sexe. Il y a là des statistiques soigneusement dressées et des détails recueillis en abondance sur les divers métiers, le salaire, les habitudes des ouvrières, les conditions générales de leur vie. La question des mœurs est même traitée, non pas à fond, ce qui serait impossible, le vice et la misère ayant tant de tristes replis, mais au point de vue de la débauche professionnelle. Cette fraction du rapport, avec quelques autres détails relatifs à la Californie, est seule fournie par les agens masculins du ministère. Il ne semble pas, à les en croire, que les prostituées proprement dites se recrutent dans les rangs des ouvrières ; le grand nombre des filles perdues sort directement de la famille sans métier préalable, ou bien encore de la domesticité, domestiques d’hôtel surtout, qui peu à peu descendent au plus bas. Beaucoup d’étrangères parmi elles. L’immigration qui fit jadis la richesse de l’Amérique est maintenant une de ses plaies. L’écume du monde européen vient s’agglomérer dans les bas quartiers des grandes villes et y reste.


III. — LA VIE DOMESTIQUE

L’ouvrière mariée a-t-elle les qualités de ménagère qui existent ici dans la même classe ? Je suis loin de le croire. En tout cas ces qualités ne sont pas innées chez elle, comme chez la Française. Lorsqu’un comité de dames s’intéressant au sort des jeunes filles qui encombrent les fabriques de tabac et de chapeaux de Baltimore eut ouvert à leur intention, il y a quatre ans, une école de ménage et entrepris de leur apprendre ce qu’une Baltimorienne toute dévouée à la question moderne de l’avancement de la femme, miss Elizabeth King, n’hésite pas à placer bravement au premier rang des devoirs, il fallut commencer par l’a b c pour ainsi dire. Ces malheureuses ne savaient ni balayer, ni épousseter, ni mettre le couvert, ni peler une pomme de terre. Et presque toutes étaient élèves des écoles publiques, suffisamment instruites sur des points beaucoup moins essentiels ! Miss King raconte que les progrès assez vite obtenus, dont profita dans maint intérieur d’artisan la table de famille, assurèrent une véritable vogue aux classes de cuisine ; chaque jour les jeunes filles à la sortie de leur grammar school (intermédiaire entre l’école primaire et l’école supérieure, high school), venaient, fatiguées cependant du travail de la journée, demander des leçons. Il s’ensuivit une heureuse entente entre les écoles de grammaire et celles de cuisine. Comme le dit avec une haute raison miss King, l’éducation primaire et secondaire ne pourra se flatter d’avoir réussi qu’après que les connaissances acquises se seront appliquées là où le besoin s’en