Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/586

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un petit poussin. Ce qu’elles ont placé d’affection sur ce poulet qui grandissait auprès d’elles, qui était leur bien, personne ne pourrait le croire. Mais ce sont mes petits veaux qui ont accompli la plus belle conversion. Nous avions ici une endurcie qui, après avoir fait son temps, était retournée dans un mauvais lieu comme au seul endroit où elle se fût trouvée heureuse. Elle revint après de nouveaux méfaits, résolue à reprendre, dès qu’elle le pourrait, son ignoble profession pour la troisième fois. Ce fut alors que j’essayai de l’intéresser à deux veaux qui venaient de naître. Je l’envoyais jouer avec eux ; elle les prit en amitié, s’attacha ensuite à la laiterie nouvellement créée, trouva ainsi sa voie. Elle est domestique dans une ferme et contente de son sort.

Mrs Johnson s’enorgueillit de sa laiterie, de l’excellent beurre qui en sort. On distrait une partie du laitage à l’intention des enfans de la maison. Il va sans dire que cette réformatrice attentive, qui sait si bien ce qu’on obtient des gens en leur donnant quelque chose à aimer, s’est servie de l’amour maternel comme d’un moyen d’action : il devrait être le plus puissant de tous si la femme ne tombait quelquefois beaucoup plus bas que la simple femelle.

Nous traversons une petite pièce où deux jeunes filles préparent des biberons et de la bouillie.

— Ceci, nous explique Mrs Johnson, est la cuisine des enfans. Nous en avons une quinzaine, tous nés dans la prison. Le règlement ne permet de les garder que dix-huit mois, mais je m’arrange pour oublier leur âge.

Malgré des déceptions réitérées, elle compte toujours que le contact de ces pauvres petits aidera leurs mères à rentrer dans le devoir ; hélas ! pour la plupart d’entre elles, l’enfant n’est que le témoignage embarrassant d’une faute : elles ne l’aiment pas. On a dû retirer la permission qui leur était autrefois donnée de garder leurs enfans la nuit. Ils étaient maltraités, battus, victimes d’impulsions violentes et bestiales.

La nursery est une belle grande pièce au premier étage, ouvrant sur la campagne de tous côtés. Nous trouvons là quatorze bambins de différens âges, les uns portés dans les bras de détenues qui ne sont pas leurs mères, les autres sous la surveillance d’une matrone. Je n’ai jamais rien vu d’aussi triste : ils sont silencieux comme si déjà la règle les écrasait, et leurs pauvres figures souffreteuses expriment le sentiment vague de quelque honte. Aucun jouet ne leur est permis dans la crainte qu’ils ne se le passent les uns aux autres, car beaucoup d’entre ces produits de l’ivrognerie et du vice ont hérité de maladies contagieuses. Trop heureux quand ils ne sont pas gangrenés au moral presque avant de naître ! Mrs Johnson parle à demi-voix d’un petit monstre