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lui permet, si elle veut, de gagner honnêtement sa vie. En outre, celles qui ne savent pas lire ont tous les soirs une classe obligatoire de lecture et d’écriture ; les autres sont libres d’assister à la classe d’histoire et de géographie. Une bibliothèque est à leur disposition, et le livre le plus recherché paraît être cette œuvre de pitié, la Case de l’oncle Tom. Elles peuvent emporter des livres aux heures de récréation, très courtes et très surveillées. Tout ce qui les empêche de causer entre elles est considéré comme un préservatif. En une demi-heure d’entretien, on revient sur le passé, on échange trop de confidences, on s’exalte, le bien acquis durant des semaines, des mois, peut être perdu. Cette demi-heure funeste qui est seule accordée au trop féminin besoin de causer, Mrs Johnson aspire à la supprimer ; elle cherche le moyen de la remplir par quelques amusemens qui imposent le silence, par de la musique ou par la visite de bonnes âmes venues du dehors. Mais le choix des visiteuses est encore chose délicate : il ne faut pas de personnes impressionnables, disposées à l’attendrissement, ni de curieuses qui prennent plaisir à entendre raconter des histoires. Mrs Johnson ne veut connaître l’histoire d’aucune prisonnière ; elle se défend ce genre d’intérêt trop facile, les prend au point où elle les trouve. En se laissant aller à une sensibilité morbide, on ne fait pas de bien à ces déséquilibrées : les figures que je vois dans les ateliers ressemblent à celles des malades de la Salpêtrière. Elles sont assises, le dos tourné à la porte pour éviter les distractions, et ne se retournent guère quand nous entrons ; j’aperçois cependant des traits veules, des yeux mornes, des physionomies brutales ou ineptes. Toutes sont proprement coiffées, les cheveux roulés en nattes ; mais le seul joli visage est le minois farouche d’une très jeune mulâtresse. Les dos qui m’apparaissent en longues rangées expriment je ne sais quel laisser aller significatif. Ces ateliers, admirablement ventilés et chauffés à la vapeur comme toute la maison, n’exhalent pas plus que les autres pièces l’odeur fade et désagréable des ateliers en général, ne fussent-ils pas ateliers de prison. Les détenues sont contraintes à une scrupuleuse propreté. Chaque cellule renferme les engins de lavage nécessaires, avec un petit lit, une chaise, une Bible et le règlement accroché au mur ; très souvent un rosaire. Les quatre cinquièmes des habitantes de Sherborn sont catholiques en effet, des Irlandaises, et celles-là seules conservent quelque religion ; plusieurs même, très pieuses, communient régulièrement le dimanche dans la chapelle où les deux cultes sont célébrés l’un après l’autre. Tombées à ce degré, au contraire, les protestantes ne croient à rien. N’y a-t-il pas lieu de considérer cette différence ? Même Évangile cependant, mêmes