air de satisfaction qu’il n’y a que neuf de ces pensionnaires déshéritées. Elles étaient tout autrement nombreuses naguère, mais par leur bonne conduite, plusieurs d’entre elles se sont élevées peu à peu jusqu’à la première division, qui permet quelques douceurs, des verres et des assiettes de choix, du thé un jour par semaine, même un peu de beurre. Dans les quatre divisions, la régularité du couvert est un chef-d’œuvre de minutie ; pas une fourchette ne dépasse l’autre, le regard rencontre deux lignes tracées au cordeau pour ainsi dire, et la tenue à table doit être également parfaite : les pieds, les mains posés selon l’ordonnance, sans un moment d’oubli. Le succès des tentatives faites dans le fameux reformatory d’Elmira (État de New-York), où certains criminels ont été peu à peu redressés au moral par l’effet du redressement physique, forcés de marcher droit, de regarder en face, de renoncer aux mauvaises habitudes apparentes qui ne sont que le reflet des défauts cachés, — ce succès éventuel, dis-je, semble avoir été pris en grande considération par Mrs Johnson. Elle croit qu’une tenue convenable doit être regardée comme un symptôme de bon augure, indiquant le retour d’un certain empire sur soi-même, et elle punit par conséquent le moindre manque de décorum. Mais ces punitions n’ont rien de très sévère. La délinquante est reléguée dans une cellule spéciale, plus nue que les autres, avec une porte grillée ; pour les fautes graves il y a le cachot, un cabinet noir dans le sous-sol, où l’on n’a pour lit que le plancher, pour nourriture que du pain et de l’eau. Plusieurs cachots existaient autrefois, Mrs Johnson a pu les fermer tous, sauf un seul, et il est presque hors d’usage depuis un an ou deux. Souvent elle est allée y tenir compagnie à quelque malheureuse que la peur jetait dans des crises d’hystérie, l’exhorter doucement, la décider à demander pardon ; ou, si elle s’obstinait, lui porter des couvertures pour la garantir contre le froid de la nuit. Sauf ces cas extraordinaires, les punitions et les récompenses sont toujours les mêmes : montée ou descente d’une division à l’autre. La première division constitue ainsi une élite. Dans les corridors nous rencontrons une jeune femme qui passe, un livre sous le bras, décorée du petit ruban rouge.
La directrice lui frappe affectueusement sur l’épaule : « Voici une très bonne fille, dit-elle. Pour rien au monde elle ne voudrait perdre ce ruban-là. N’est-ce pas ? — Et elle l’interpellait par son nom de baptême. — C’est que, si l’on a une fois mérité de le perdre, on ne le regagne jamais, quoi qu’on fasse, » expliqua Mrs Johnson en se tournant vers nous.
Nous pénétrons dans les ateliers de repassage, de couture, de raccommodage. Chaque détenue sort de prison avec un état qui