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toutes : une cotonnade à carreaux bleus et blancs ; regardez bien ; ce carreau selon qu’il est plus ou moins grand, à une, deux, trois ou quatre raies, montre que l’on appartient à telle ou telle des quatre divisions. En effet, après les premières semaines d’épreuve solitaire, « la nouvelle » est mêlée à ses compagnes, et là elle trouve l’occasion de lutter sans relâche afin d’obtenir une meilleure nourriture, un peu de liberté, des privilèges quelconques ; pour cela il lui faut s’élever de l’avant-dernier grade aux grades supérieurs. Il arrive aussi qu’elle tombe au dernier. Nous allons voir, en suivant Mrs Johnson, ce que cela signifie.

Je ne crois pas que l’on puisse imaginer rien de net, de ciré, de luisant comme cette prison de Sherborn ; l’air, la lumière pénètrent à souhait ; nulle part on ne respire une mauvaise odeur, une odeur quelconque ; pas un grain de poussière, des cuivres étincelans, des murs lavés, blanchis, des escaliers si bien tenus qu’on les dirait tout neufs. Il nous semble circuler dans l’atmosphère pure d’un tableau d’intérieur hollandais. Cette propreté devient presque excessive et inquiétante dans la cuisine. Est-il possible que des tables si bien grattées, des ustensiles si soigneusement fourbis aient servi jamais, et d’où vient qu’aucune émanation ne se dégage des trois énormes chaudières qui sont en train de bouillir ? Mrs Johnson lève les couvercles ; l’une d’elles renferme des épluchures de cacao, l’autre du gruau, la troisième une trompeuse imitation de café, ce qui dans les trois cas équivaut à de l’eau chaude ; c’est le menu ordinaire. On n’a que très peu de viande une fois par jour, dans un semblant de bouillon ; en revanche, du pain presque à discrétion coupé en minces tartines, selon l’usage américain, et très blanc. Évidemment les grosses soupes et le gros pain d’Europe nourrissent davantage.

— C’est assez, fait observer Mrs Johnson ; mieux nourries, elles seraient plus difficiles à tenir, et l’état sanitaire chez nous ne laisse rien à désirer.

Suffisante ou non, cette maigre chère est très proprement servie, et ici s’affirme l’importance donnée aux habitudes décentes et respectables par tous ceux qui ont du sang anglo-saxon dans les veines. La punition des plus mauvaises est de manger dans de la vaisselle fêlée ou ébréchée. Cela fait partie de l’ingénieux système des quatre grades auquel nous initie notre visite aux quatre réfectoires. Dans le réfectoire de la dernière classe, tout est plus grossier : chacun des objets qui composent le couvert porte la trace de quelque avarie, les mets aussi représentent le rebut ; et les cellules correspondantes sont les moins commodes de la prison : fermées chacune par un rideau, elles donnent sur un couloir rigoureusement gardé. Mrs Johnson nous fait remarquer d’un