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Le fermage, cependant, ne peut disparaître; il a sa grande utilité ; mais il n’est un régime vraiment fructueux et conciliant tous les intérêts que quand le propriétaire ne se désintéresse pas complètement de sa terre et ne se repose pas absolument sur le fermier du soin d’en tirer le meilleur parti possible. Le propriétaire, même sous le régime du fermage, a une fonction importante à remplir; s’il ne s’en acquitte pas, il est rare que le domaine ne finisse pas par décliner. Il doit d’abord choisir le fermier, ce qui exige beaucoup de discernement, fixer le prix de fermage, ce qui demande de la modération de sa part, car le prix maximum qu’il peut atteindre risque de décourager le fermier en temps de crise, consentir, quand c’est opportun ou légitime, des remises ou des délais. Voulût-on s’en tenir à ce simple rôle qu’il aurait déjà de l’importance et qu’on voit combien l’Etat serait incapable de le remplir, comme le proposent les socialistes : « Aucun propriétaire équitable ou intelligent, dit avec raison Thorold Rogers, n’exigera le maximum de la rente que donnerait la concurrence. Il voit ce que sa terre peut rapporter et n’invoquera pas comme excuse les offres que lui adressent des fermiers insensés. Quand un emprunteur offre 15 pour 100 d’intérêts à un banquier prudent, celui-ci s’empresse de lui refuser la moindre avance[1]. »

De même pour les remises et les délais, un propriétaire avisé doit savoir en apprécier la nécessité dans certaines circonstances et s’y résigner. L’économiste-historien que nous venons de citer dit à ce sujet : « Dans les temps primitifs, la coutume anglaise a voulu que toutes les améliorations permanentes et toutes les réparations fussent à la charge du propriétaire du fonds, qu’il s’agisse de propriétés rurales ou urbaines. Ayant élevé les bâtimens à ses frais, ce fut à lui de les entretenir quand il cessa de faire valoir lui-même. Au XVe siècle, il assurait même son tenancier contre des pertes extraordinaires. Ainsi New-College affermait un domaine dans le Wiltshire et assurait à son tenancier toute perte dépassant 10 pour 100 du nombre total de ses moutons. Le risque n’était pas minime, car en deux années consécutives, en 1447 et en 1448, le Collège remboursa 73 et 116 moutons sur cette seule occupation. En 1500 Magdalen-Collège remboursa 607 moutons à des tenanciers. Les charges traditionnelles du propriétaire n’étaient donc pas légères et il ne pouvait s’y soustraire

  1. Thorold Rogers, Interprétation économique de l’Histoire, p. 158. A un autre endroit 5 p. 154, parlant d’une grande famille anglaise très connue et des fermages d’un de ses importans domaines, avant et depuis 1692, l’auteur écrit : « La noble famille des Manners, de tout temps, a été très libérale envers ses fermiers, et les fermages ont toujours été bas à Belvoir, malgré la bonne qualité de la terre. » Il ne faut pas non plus, cependant, des fermages trop bas, parce qu’ils encouragent la routine.