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dans une République. Quelques explications l’indiqueront.

Le premier devoir de la fortune, comme du capital en général, c’est de se conserver. La première faute, non seulement individuelle ou familiale, mais sociale, que puisse commettre un homme riche, c’est de diminuer sa richesse ; celle-ci étant un fonds, susceptible de perpétuité, utile pour la production et la direction des entreprises, la destruction, le gaspillage, l’émiettement de la richesse, soit par la prodigalité, soit même par une générosité imprudente, est une faute. Dans l’intérêt social, aussi bien que familial et personnel, chacun doit respecter et maintenir sa fortune.

Les revenus seuls peuvent être légitimement consommés. Quel usage en fera-t-on ? Une vie large est parfaitement permise ; elle n’a rien qui choque la morale. Elle est même, pourvu qu’elle reste en deçà des revenus, recommandable, dans la généralité des cas. Le luxe, bien compris, la décoration artistique de l’existence, sans vaine ostentation et frivole arrogance, est aussi un des emplois licites des revenus ; il est désirable, toutefois, que ce luxe se porte en grande partie sur des objets d’une certaine durée ; beaux meubles ayant un caractère artistique, tableaux, statues, gravures, objets de collection, ou à un autre point de vue : chevaux de race, animaux de choix; même, construction d’hôtels ou de châteaux ; il est légitime que les générations laissent quelques traces durables et élégantes de leur passage ; tout cela, toujours sous cette réserve qu’on ne gaspille pas sa fortune et que même on continue, dans une certaine mesure, à l’accroître.

Un certain accroissement de la fortune reste une des obligations, sinon morales, du moins économiques et à coup sûr familiales, qui s’imposent à l’homme riche. Celui-ci doit continuer, dans une certaine mesure, d’épargner et de créer du capital, pour procurer à l’ensemble de la société les moyens d’appliquer les inventions et les découvertes nouvelles, pour augmenter toujours le fonds productif qui allège les peines et augmente les produits de l’humanité. L’épargne, dans quelque situation de fortune que l’on soit, continue d’être un devoir, ne serait-ce que pour parer aux accidens qui sont toujours possibles. Les accidens ne viendront que trop tôt amoindrir ou détruire les fortunes ; il est prouvé que peu de grandes fortunes, de banque, de commerce ou d’industrie, se maintiennent sans notables atténuations, au delà de trois ou quatre générations. L’épargne reste donc un devoir pour l’homme riche ; mais elle ne doit plus absorber tout l’excédent de ses revenus au delà de la vie large et confortable. Une épargne de moitié du revenu ou d’un tiers du revenu pour les gens possédant les millions par dizaines, paraît en moyenne très suffisante ;