qu’il éprouvait, ou avait-elle déjà pris le grand parti, très noble et très digne, par lequel elle devait expier hautement l’abandon de cet instant ? Elle passa les mains sur son front et dit, avec une touchante douceur :
— Pardonnez-moi, je suis un peu folle ce soir. Il faut oublier ce que nous venons de dire. J’ai été la seule coupable. Partez, je vous en prie. Il est tard, et l’on va venir vous chercher.
Elle fut sur le point de lui dire adieu, et de lui signifier qu’ils ne se reverraient jamais plus ; mais le cœur lui manqua, soit qu’elle eût pitié de lui, soit qu’elle n’eût plus la force de résister à de nouvelles instances. Mais elle venait de se jurer à elle-même, en un de ces éclairs où la conscience s’illumine, qu’elle ne devait plus s’exposer à revoir Louvreuil en face. Et se levant :
— Adieu, fit-elle, mon bien… bien cher ami !
Elle lui tendit la main. À ce moment, des pas crièrent dans l’allée. Louvreuil s’inclina en disant très haut :
— Adieu, madame.
Un domestique vint annoncer que la voiture attendait. Louvreuil en silence le suivit, puis feignant d’avoir oublié quelque chose, il retourna en hâte vers le banc où Mme de Nesmes restait assise, toute droite, immobile et glacée. Elle ne parut pas surprise de le voir et sourit sans lui parler. Il lui baisa éperdument les mains et se sauva.
Le surlendemain, Louvreuil apprit par Mme Viot que Mme de Nesmes était partie avec son mari, réconciliés, en apparence. La générale semblait soucieuse. Avait-elle compris, plus clairvoyante qu’elle n’en avait l’air, le sacrifice par lequel son amie immolait son orgueil, son avenir et sa plus pure tendresse ? Quelle expiation plus haute en effet, pour une faute restée platonique, que ce refus de divorcer, le pardon accordé à M. de Nesmes, et la reprise d’une vie qu’elle savait être un calvaire ?
Louvreuil ne parut pas extrêmement affecté. Seulement, il mit ordre à ses affaires et retourna au Soudan. Ses camarades le regrettèrent, surtout le marquis d’Yèbles, auquel il donna Lady Keats.
Le capitaine de Louvreuil s’est fait tuer, sous les ordres du colonel Bonnier, à l’échauffourée de Tombouctou. Deux mois après, une fièvre typhoïde a enlevé M. de Nesmes, et sa femme est devenue libre.
PAUL MARGUERITTE