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— Ah ! fit Louvreuil, c’est affreux ! Mais pouvez-vous hésiter?... La liberté s’offre à vous ; nos amis les Viot doivent tout apprendre, ils vous assisteront!

Elle répondit avec une tristesse résignée :

— Mon parti est pris, je ne divorcerai pas. Je ne veux pas que notre nom soit mêlé à des scandales et livré à la malveillance publique. Cependant, je suis lasse d’une pareille existence, et si M. de Nesmes y consent, j’estime qu’une séparation à l’amiable sera profitable à tous deux.

Mais Louvreuil s’écria :

— Vous n’y pensez pas ! Quoi ! vous resteriez dans sa dépendance, vous ne seriez ni mariée ni veuve! Tous vos actes seraient épiés, votre vie traînerait languissante et empoisonnée! Non, non, dans ces cas-là, on recourt au chirurgien. Le divorce! On ne vit pas avec un membre gangrené, on l’ampute ! Mon Dieu ! murmura-t-il, aurez-vous assez souffert?... Et cet homme qui arrive, qui s’impose, et auquel je n’ai pas le droit de barrer le passage ! Mais vous connaissez-vous bien vous-même ? La révolte passée, la dépression venue, vous pardonnerez peut-être de nouveau? Cette pensée m’affole! Jurez-moi que vous ne l’aimez plus !

Elle répliqua :

— Vous me croyez donc bien vile ? Je ne suis pas de celles dont l’amour survit à l’estime.

— Ah ! soupira-t-il, plût à Dieu que vous m’estimiez alors un peu !

Elle fondit en larmes en disant :

— Je vous aime, et vous le savez bien.

Il la prit dans ses bras et la couvrit de baisers ; la secousse avait été trop soudaine, lui aussi pleurait.

— Mon Dieu, balbutia-t-il, est-ce vivre? Mon cher bonheur, pour avoir entendu ce mot, je ne regrette plus rien. Mais est-ce vrai, bien vrai? Oh! je vous aime, je vous aime!

Elle répondait :

— Vous seul saurez... C’est mal à moi, mais j’étouffais, et d’ailleurs c’est à vous, à vous... Ne me méprisez pas, si je vous ai montré mes plaies.

Il lui fermait la bouche de baisers :

— Ne regrettez rien, mon âme, je bénis cette minute où votre pauvre cœur s’est épanché.

Alors ils ne se dirent plus rien, mais se tinrent enlacés en pleurant.

Leur réveil fut affreux.

Quelques secondes avaient-elles suffi pour les faire passer de l’extrême félicité au comble de la misère? Autour d’eux, c’était