à une autre vie et marquée par la possession d’un maître. Il balbutia :
— Je mets à vos pieds, madame, le respectueux attachement d’un ami bien humble, mais tout fervent
Elle pencha la tête en disant très bas :
— Merci !
Un petit pli tirait ses lèvres; elle s’était assise, en portant la main sur ses yeux. Louvreuil fut bouleversé de voir qu’elle pleurait. Pareille à une morte, tant elle était blanche et rigide, les larmes claires coulaient lentement, sur ses joues. Il la croyait plus forte, l’ayant vue à l’épreuve, sachant de quelle résistance nerveuse elle était capable. Tant de faiblesse l’anéantit; lui qui avait vu massacrer des hommes ne pouvait souffrir qu’un enfant sanglotât. Sa volonté défaillit; il murmura, dans une grande pitié :
— Oh ! ne pleurez pas ! Si vous saviez quel mal cela me fait de vous voir pleurer !
Elle secoua faiblement la tête, ses larmes coulèrent plus fort entre ses doigts. Pour qu’elle s’abandonnât ainsi devant lui, sans résistance ni fierté, vaincue par la méchanceté de la vie, il fallait bien qu’elle eût le cœur brisé. Une telle pensée le jeta hors de lui-même, et comme une situation aussi extrême passait par-dessus les convenances, il ne put résister à son attendrissement, et saisissant les frêles mains mouillées qui s’obstinaient à cacher ce pauvre visage :
— Que puis-je faire pour que vous ne pleuriez pas ainsi? Je vous en prie, ayez du courage! Vous n’êtes entourée que d’amis...
Inutilité, impuissance des meilleures paroles! Du moins, il les disait avec cœur. Jamais il ne s’était senti plus près d’elle; il lui semblait tenir dans ses mains, au contact des mains de Mme de Nesmes, toute la douleur frémissante de la jeune femme. Quelques secondes auparavant, l’hypocrisie du monde les forçait à se taire, à présent il pouvait lui parler en ami; et ce miracle, les larmes l’avaient opéré : conventions, préjugés, leur flot sincère emportait tout!
— Mon Dieu! disait-il, est-ce ainsi que je devais vous retrouver? Que de vœux j’avais faits pour votre bonheur! De loin, je pensais : « Elle est heureuse ! » et cette conviction me consolait dans mon exil. Parfois même, je vous le reprochais, ce grand bonheur. N’être rien pour vous me désespérait. Je remâchais mes souvenirs comme une chose amère. Et il y avait des jours de combat où je me demandais : « A quoi bon vivre? » Alors, j’appelais les balles en éperonnant mon cheval. Je vous revois pourtant, et je douterais de cette étrange joie si je ne vous voyais pleurer...