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dans un corset, galopait en jockey, debout sur les étriers, penché sur la tête de son cheval qu’il feignait, par bouffonnerie, de fouailler à tour de bras.

D’un élan, Louvreuil mena la course. Des allées s’enchevêtrèrent : on était pris dans cette toile d’araignée qui entoure les Évées, et qui sillonne de chaussées fermes un dédale de canaux moisis. La Mare apparut, toute ronde, avec son eau triste et ses joncs, son pourtour seigneurial de grands arbres. Trois pistes s’offraient. Mlle de Coinchant, qu’un groupe escortait, tendit sa cravache en avant. Le reste du rallye prit à gauche. Seuls Louvreuil et Colson’s, qui aboyait toujours, empaumèrent la voie. Bientôt ils entendirent les cris désappointés d’Au retour! et des galops essoufflés derrière eux. Mais déjà Louvreuil avait aperçu l’obstacle final, un drap blanc tendu sur une corde, sous une guirlande de feuilles. Il pointa dessus et sauta. Des bravos l’accueillirent, des cris : il se trouvait au milieu des voitures et des spectateurs qui guettaient l’arrivée. La fanfare du 27e chasseurs sonnait l’hallali. Il reconnut des visages, on le félicitait, des mains se tendaient vers la sienne ; et sous un pavillon de toile où un lunch attendait, la jolie pâtissière. Mme Quenette, haussée sur la pointe des pieds, la main en abat-jour devant les yeux, le regardait en souriant.

Dès ce moment Louvreuil, dans la courte ivresse du succès, cessa de s’appartenir. Il devenait l’homme de la circonstance. Des soldats s’élançaient à la bride des chevaux, on avait mis pied à terre. Mlle de Coinchant, qu’on entourait fort, s’écria en le désignant :

— Mais je ne suis arrivée que troisième. Voici le vainqueur!

Elle s’approcha de Lady Keats et la caressa, tandis que le marquis d’Yèbles, qui contemplait l’alezane avec convoitise, montrait du doigt les taches blanches qui cerclaient ses pieds de bête fine et récitait flatteusement :

Balzanes trois,
Cheval de rois !

— Ah! dit Mlle de Coinchant, je ne connaissais pas ce dicton.

D’Yèbles continua :

Balzanes quatre,
Cheval pour se battre !

— Et quand il n’y en a que deux?

Il déclara :

Balzanes deux,
Cheval de gueux!