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salon blanc aux incrustations d’ébène et de nacre où elle recevait, qu’assis devant elle, sur un fauteuil si bas qu’il était presque à ses genoux, il trouva les mots graves et attendris par lesquels il lui livrait, éperdument, son cœur. Elle l’écoutait avec une sorte d’angoisse douce et souffrante, des yeux de grande pitié; mais elle n’eut pas l’embarras de répondre : une visite survint. Le lendemain, elle était partie.

Alors commencèrent des mois vraiment cruels : l’attente, l’espoir, le doute, mille craintes consumaient Louvreuil. Il n’avait plus de goût à rien. Il errait pendant des heures à cheval dans la campagne, et ne manquait jamais de passer devant la maison mauresque et le parc rose, où les tourterelles et les lévriers ne gémissaient plus. Blidah lui devint odieux. Il se sentit oppressé par la montagne qui écrase la petite ville. Les plâtras hideux des maisons, les pieds nus d’une populace crasseuse, l’odeur d’absinthe et de laine arabe qu’exhalent les rues, tout l’écœura. Il envoyait à Mme Viot des lettres suppliantes, si exaltées qu’elle le crut fou. Elle s’entremettait pour lui, cependant, mais sans confiance, car Henri de Nesmes était revenu à Paris, et Mme Osborne l’avait revu. S’étaient-ils expliqués, avaient-ils déploré le malentendu qui avait brisé leur jeunesse, songeaient-ils à le réparer en demandant à l’avenir le bonheur auquel ils avaient droit ? Mme Viot garda le secret des doutes ou des certitudes qu’elle put avoir, à ce sujet. Mais Louvreuil, dont l’impatience devenait torture, entra chez elle, un soir, en coup de vent. Il avait obtenu une permission, pris le bateau et le rapide. Il arrivait, affamé de savoir et pressentant un malheur. Elle ne put lui cacher la vérité : il eut un accès de fièvre alarmant, des transports de fureur et de jalousie, puis éclata en sanglots d’enfant. Mme Osborne, en apprenant ce désespoir, fut touchée; avec une noblesse qui devait l’honorer toute sa vie, et dont Louvreuil fut pénétré, elle se résolut à le voir et à lui parler : l’entretien eut lieu chez Mme Viot. Hélène Osborne s’y montra loyale et haute, elle confessa combien l’amour de Louvreuil la touchait. Elle n’y était nullement insensible, et peut-être qu’en d’autres circonstances... mais elle ne s’estimait pas libre. D’anciens engagemens, qui primaient tout, la liaient. M. de Nesmes n’ayant jamais cessé de l’aimer, et revendiquant les droits du passé, elle devait à leur honneur mutuel, elle se devait à elle-même de consentir à l’épouser. Pourtant, l’idée que Louvreuil resterait malheureux à cause d’elle, lui gâterait la vie. Aussi le pressait-elle de surmonter la violence de ses sentimens, d’être son ami, rien que son ami, et le meilleur qu’elle pût avoir. Il répondit à cette franchise par l’abnégation d’un soldat. Il la remercia, protestant qu’il formait des vœux pour son bonheur; il