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si redoutable étant suffisamment atteinte, la France n’avait nul motif de tendre à l’affaiblir davantage ; tandis qu’une ambition naturelle portait la Prusse à pousser plus loin un amoindrissement nécessaire pour établir sa propre prépondérance en Allemagne.

Entre l’Autriche et l’Angleterre, la dissidence éclata de bonne heure et la rupture se fit ouvertement. Les ménagemens et les retards répugnaient au caractère impétueux de Marie-Thérèse, et la publicité était commandée par la nature même des institutions anglaises qui soumettaient tous les actes d’un cabinet responsable au contrôle d’un parlement.

La dissimulation naturelle à Frédéric, l’indécision de Louis XV et de ses conseillers, rendirent la séparation de la France et de la Prusse plus tardive et moins apparente, mais elle était faite, en réalité, et consommée avant d’être produite au jour.

Dès lors tous les liens qui tenaient unie jusque-là la société européenne se trouvant usés ou brisés, et l’isolement n’étant pas longtemps possible aux États plus qu’aux individus, rien de plus simple que deux groupes se soient formés précisément opposés à ceux qui venaient de se dissoudre.

Le traité de Westminster n’eut pas d’autres causes ni d’autre origine. C’était, de la part de l’Angleterre, la déclaration qu’elle ne comptait plus sur l’Autriche, et de la part de la Prusse, qu’elle n’avait plus rien à demander à la France. De là, pour l’une comme pour l’autre, un vide à combler, un auxiliaire à remplacer, une balance de forces à rétablir : la nouvelle union était destinée à y pourvoir. C’est le mouvement naturel du corps qui, lorsqu’un appui lui manque, se porte instinctivement d’un côté à l’autre pour retrouver son équilibre. Si Frédéric eût mis plus de franchise à prévenir la France de sa séparation, quand il la préparait, et, quand elle fut consommée, une insolence moins blessante à la faire connaître, tout État ayant le droit de penser avant tout à soi-même, aucun reproche n’aurait pu lui être justement adressé.

L’alliance autrichienne présentait pour la France le même caractère et pouvait se justifier par les mêmes motifs : et c’est bien ainsi qu’elle était offerte par Kaunitz, quand il vint, au nom de sa souveraine, la proposer à Paris. Nulle action immédiate, nulle association à une entreprise précipitée et périlleuse, n’était alors réclamée de la France en retour du secours éventuel qui lui était assuré contre l’infidélité déjà prévue de la Prusse. D’ailleurs la France était alors en situation de ne payer ce service qu’au prix qu’il lui aurait convenu de fixer. Elle sortait d’une grande guerre dont les résultats matériels avaient pu paraître insuffisans, mais dont les victoires de Maurice de Saxe avaient relevé l’effet moral. Son armée s’y était montrée à la hauteur de ses meilleurs jours.