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que les choses se fussent passées de manière que, le roi de Prusse étant incontestablement l’agresseur, les cours de France et de Russie ne pussent se soustraire à l’obligation qu’elles avaient contractée de la secourir[1]. »

Effectivement, le 26 août 1756, trois mois après la conclusion du traité de Versailles, le roi de Prusse passait en armes la frontière de Saxe, mettant le comble à son audace par l’invasion d’un territoire neutre, appartenant à un voisin faible et sans défense. Le dé était jeté et la lutte s’engageait de nouveau, comme déjà à deux reprises, entre les mêmes combattans, animés des mêmes passions et se donnant rendez-vous sur les mêmes champs de bataille. C’était chez Frédéric même dédain de tout scrupule, même élan dans l’attaque, même rigueur intraitable dans l’exécution ; chez sa fière rivale, un tel sentiment de son droit qu’une fois violé, rien ne pouvait lui faire oublier l’injure. Etaient-ce pourtant les mêmes scènes qu’on allait revoir ?

Non, il y avait une différence, une seule, mais suffisante pour changer toute la face des événemens. Les tenans du duel étaient bien pareils, mais leurs seconds avaient interverti leurs rôles. La France prenait aux côtés de l’Autriche la place occupée par l’Angleterre, qui allait la remplacer elle-même auprès de la Prusse.

J’aurais bien mal fait saisir le sens des faits dont j’ai présenté la suite, s’il n’était facile au lecteur de comprendre comment ce croisement s’est opéré sous l’empire d’une nécessité qu’Angleterre et France ont dû également subir, mais dont l’une a eu le bon esprit de tirer parti de bonne heure, tandis que l’autre ne s’y est prêtée que tard et maladroitement.


Les alliances politiques n’ont qu’un temps : fondées sur des intérêts communs, elles se refroidissent et se relâchent quand les intérêts se séparent, et sont rompues bientôt, qu’on le veuille ou non, dès que les intérêts se contrarient.

L’alliance de l’Autriche et de l’Angleterre était fondée sur l’intérêt de poursuivre un ennemi commun, la France. Elle a dû cesser quand l’Autriche a vu s’élever en face d’elle un autre ennemi plus redoutable qui la menaçait dans sa grandeur et même dans son existence, qu’elle avait toute raison de craindre, mais que l’Angleterre n’avait aucun motif ni de combattre, ni de haïr.

L’intérêt commun qui fondait l’alliance de la France et de la Prusse, c’était le désir et le dessein d’abattre la domination autrichienne : elle devait cesser quand, cette puissance autrefois

  1. Pol. Corr. t. XIII, p. 465. — D’Arneth, p. 486.