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spéciale où il l’avait bien malgré lui pour associé, soit de l’ambassade d’Espagne où il était pressé de l’expédier. Et quant à ce piteux ministre, pour indiquer aux autres où ils devaient tendre, il ne lui manquait que de le savoir lui-même. Lui, comme tout le monde (mais moins excusable que d’autres parce que le fond des choses lui était connu), se laissait aller à l’illusion de croire que, parce que le traité du 1er  mai ne contenait rien d’agressif dans sa forme extérieure, la paix allait être plutôt confirmée que troublée. La Prusse intimidée n’oserait bouger : on ajournerait indéfiniment par une délibération prolongée les vues grandioses de l’Autriche et on pourrait encore dormir quelques jours dans une nouvelle espèce d’équilibre. Aussi, après avoir prolongé le silence aussi longtemps qu’il lui fut possible et laissé les représentans le la France dans une incertitude pleine d’angoisse et dans une ignorance qui les couvrait de ridicule, quand il se décida à leur faire part des deux conventions dont le texte était déjà imprimé et publié dans toutes les gazettes d’Europe, il n’appela leur attention que sur le caractère purement défensif de ces actes. C’était bien le seul, en effet, qu’ils dussent faire ressortir, mais, pour leur intelligence personnelle, il aurait dû être accompagné de quelques commentaires. « Vous déclarerez, disait-il dans sa circulaire, que les cours de France et de Vienne n’ont eu d’autre but dans ces deux actes que de suppléer aux mesures qui manquaient pour mieux assurer la tranquillité de l’Europe ; que ces traités ne tendent à l’offensive de personne et qu’ils ne changent rien à ce système d’équité et de justice que ces cours ont pris pour règle de leur conduite. Mais, ajoutait-il, comme l’union dont le roi et l’impératrice viennent de resserrer les nœuds ne saurait être ni plus forte ni plus sincère, Leurs Majestés veulent qu’elle paraisse publiquement par l’intelligence de leurs ministres. Je ne doute pas que Sa Majesté Impériale en ait déjà prévenu son ministre à la cour où vous êtes, et l’intention du roi est que vous donniez à ce ministre toutes sortes de marques de confiance et d’amitié et que vous viviez avec lui dans la plus parfaite intelligence. » Il ne s’était pas évidemment demandé s’il était possible, entre rivaux qui s’étaient tenus la veille encore en suspicion, de faire naître la confiance à volonté et par commande. Point d’indication d’ailleurs d’une précaution à prendre pour un conflit possible. Quand la crise éclatera (et ce sera demain) elle trouvera la diplomatie française dévoyée, prise au dépourvu, privée de ses appuis naturels et posant en l’air.

Comment concilier pourtant cette sotte confiance dans un avenir pacifique qui s’était emparée de tous les esprits en France avec la nouvelle négociation promise à l’Autriche et qui ouvrait