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jours après et la nouvelle de la capitulation était apportée par le fils de Richelieu, le duc de Fronsac, puis annoncée au public par sa fille, la comtesse d’Egmont, dans une représentation du Théâtre-Français où les clameurs enthousiastes du public l’accueillirent.

L’ivresse alors (c’est l’expression de l’historien Duclos) fut générale, et, bien que l’alliance autrichienne ne fût en réalité que pour peu de chose dans ce succès, elle en partagea momentanément du moins le bénéfice. L’Angleterre à la fois délaissée sur terre et humiliée sur mer, réduite prochainement à capituler (Bernis lui-même le croyait), c’était plus que l’orgueil national le plus exalté n’aurait osé espérer. Tout réussissait donc à souhait au nouveau système, et la meilleure preuve c’est que Rouillé, qui se défendait d’abord d’y avoir pris part, et avait tout mis en œuvre pour le faire échouer, en revendiquait maintenant l’honneur. Le roi, au comble de ses vœux, n’avait jamais montré un visage plus souriant, et Mme de Pompadour réclamait plus peut-être qu’elle n’y avait droit sa part de complimens[1].

Le seul qui ne dût pas partager ces illusions optimistes, c’était le ministre de la guerre lui-même, le comte d’Argenson, puisqu’il avait annoncé dans le conseil, avec un sens prophétique, le péril qu’on devait rencontrer au bout de la voie inconnue où on s’engageait. Mais lui aussi, dans ses prévisions et ses préparatifs, n’avait jamais pensé avoir autre chose en tête qu’une armée austro-anglaise manœuvrant dans les plaines de Flandre, ni d’autres chemins à ouvrir que ceux qui avaient conduit Villars ou Maurice de Saxe à la victoire. Avec la politique nouvelle, qui faisait des Pays-Bas un territoire inviolable, toutes ses mesures, tous ses plans de campagne étaient déroutés : il restait lui-même parfaitement désorienté. S’il avait senti confusément venir l’orage, il ne savait pas mieux que d’autres d’où pourrait souffler le vent. En

  1. M. d’Arneth fait remarquer en effet (et j’ai pu vérifier cette assertion par la lecture des dépêches de Stahremberg) que la part prise par Mme de Pompadour, dans cette première phase de la négociation fut presque nulle. Après la première conférence tenue à Babiole, elle ne paraît plus, et son nom n’est plus prononcé dans aucune des entrevues de Stahremberg avec Rouillé et avec Bernis. À la vérité, Flassan, dans l’Histoire de la Diplomatie française, t. VI, p. 47, cite une pièce qu’il dit avoir été remise par Stahremberg à la marquise le 20 avril, jour même du Conseil où la signature du traité défensif fut résolue. Mais il ne donne pas l’origine de ce document dont M. d’Arneth conteste très légitimement l’authenticité. La pièce ne contient en effet que les raisons très générales en faveur du traité, et à cet égard Mme de Pompadour n’avait aucun besoin d’être convaincue. La véritable influence de la marquise s’exerça un peu plus tard quand il s’agit de faire entrer Bernis au ministère au lieu de Rouillé, et là Stahremberg ne conteste pas qu’il eut alors besoin de faire appel à tout son crédit. Les questions personnelles étaient, en effet, essentiellement de la compétence de la favorite, et les seules auxquelles elle prît un véritable intérêt.