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« Je rendis compte, dit-il, avec tant de détail et de précision de ce qui s’était passé entre le roi et l’impératrice que les ministres nouvellement admis furent aussi au fait que les anciens. » Il dut indiquer ainsi successivement les trois points sur lesquels devait porter la délibération, si on peut appeler ainsi un entretien où, le roi s’étant prononcé et tout le monde connaissant son désir, personne n’osait contredire ; c’était en premier lieu la convention de neutralité, ensuite le traité de défense et de garantie, enfin le plan d’ensemble, qui contenait les véritables desseins de l’impératrice et dont Stahremberg avait, dans plusieurs mémoires, donné par écrit le développement.

Sur les deux premiers objets aucune difficulté ne s’éleva : le maréchal de Noailles insista seulement pour que rien dans le traité défensif ne parût porter atteinte au droit reconnu et au devoir imposé à la France de protéger les libertés germaniques. Il ne fallait pas, dit-il, que les États allemands que la France avait depuis un siècle couverts de son patronage, pussent se croire livrés sans défense au bon plaisir de la maison d’Autriche : on lui promit que le traité de Westphalie serait mentionné par son nom dans un article spécial et expressément confirmé.

Le troisième article, ouvrant des perspectives bien plus étendues que les deux autres, ne fut pas abordé sans un peu d’effroi. On se sentait confusément à la veille de s’engager dans une grande aventure, pleine de chances inconnues, exposant à des périls et à des frais qui ne pouvaient être calculés : si le succès n’était pas heureux, ce pouvait être un bouleversement général. Personne cependant n’osait élever la voix, peut-être par un sentiment que Bernis avait déjà remarqué dans plusieurs de ses collaborateurs du comité secret et qu’il décrit ainsi : « On était effrayé de la grandeur de l’entreprise, de la complication des moyens, des dépenses et des risques dans lesquels un pareil projet pouvait nous jeter… mais on se flattait que la décision de tant d’objets considérables mènerait fort loin, et qu’en gagnant du temps on gagnerait tout… système, dit-il avec raison, qui avait pour base la fausseté et la finesse…

Puisieulx, cependant, fit remarquer que la chose étant en soi excellente, et lui-même y étant très porté, il fallait user de beaucoup de prudence dans le choix des moyens. Le comte d’Argenson prit alors son parti de parler et fut plus net. Ceci, dit-il, n’est point la paix comme nous l’aurions désirée. C’est le commencement d’une guerre générale et peut-être d’une guerre de religion. Il peut être de l’intérêt du roi de s’y prêter, si le concert des puissances est établi avec équité et réciprocité, mais alors il ne faut pas faire les choses à demi et il n’y a pas un instant à