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peu probable que la France songeât encore à attaquer cet électorat depuis que le traité de Westminster l’avait placé sous la protection prussienne, on glissa sans trop appuyer sur ce point délicat.

Mais une autre suite du même principe avait une plus grande importance. L’Autriche ne voulant et ne pouvant en réalité apporter à la France aucune aide matérielle dans sa lutte avec l’Angleterre, réciproquement Louis XV et Bernis en son nom durent se refuser péremptoirement à tout concours même indirect prêté à la campagne agressive que l’Autriche méditait contre la Silésie. Louis XV se croyait dégagé de tout lien d’honneur envers Frédéric et voulait bien le laisser prendre à partie sans le défendre, mais il se refusait à s’associer à l’exécution. Tout devait se borner de la part de la France à laisser faire et laisser passer. Dès lors, il n’y avait pas à entendre parler de cet appui détourné qui aurait consisté à engager les puissances secondaires sur lesquelles pouvait s’exercer l’influence française à prendre part à des opérations militaires dont la France elle-même se serait tenue à l’écart. Sur ce point ce fut le roi surtout qui fut inabordable. Il déclara nettement qu’à tant faire que de se mêler de la lutte, il aimerait mieux se battre lui-même que de faire battre les autres et surtout les faibles à sa place. Il aurait pu ajouter que le procédé qui manquait de noblesse n’aurait pas présenté non plus de sécurité véritable : car le tuteur qui aurait mis ses cliens en avant, n’aurait pu, s’il leur arrivait malheur, se dispenser de leur porter secours : en sorte que ce n’eût été que partie remise et on n’y aurait gagné que d’avoir laissé échapper le succès de la première heure dont l’effet moral, dans une entreprise audacieuse, est souvent décisif.

Ce fut sur ce point cependant qu’on faillit rompre parce qu’on se mit des deux parts à suspecter les intentions mutuelles. L’Autriche, pour maintenir sa demande, alléguait qu’elle ne serait pas sûre de réussir si elle n’était appuyée que par les forces de la Russie, dont depuis la convention faite entre la tsarine et l’Angleterre elle n’était même plus sûre de pouvoir disposer à son gré et elle affirmait qu’elle ne pourrait se mettre en campagne à moins d’être secondée par une troisième armée qui lui permettrait de faire attaquer la Prusse de tous les côtés à la fois. Mais la France pouvait très bien soupçonner que cette troisième armée levée sur de petits États n’était destinée qu’à former un rideau derrière lequel se tiendrait toute l’armée française elle-même, prête à accourir si ceux qu’elle avait compromis étaient menacés. D’autre part il était clair qu’on ne pouvait intéresser ces États secondaires à une affaire qui avait ses périls, que par l’appât du