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et plusieurs autres puissances pour lesquelles la cour de Londres se donne actuellement beaucoup de mouvement et qu’elle poussera avec son impétuosité accoutumée, n’ouvre pas les yeux de la cour où vous êtes et ne lui fait pas sentir que pour faire échouer ce projet, il n’y a pas de temps à perdre, il semble qu’il faudra renoncer à lui voir prendre jamais un parti conforme à son intérêt d’état et à la gloire d’une grande monarchie. On ne devrait pas avoir à lui supposer un tel excès d’aveuglement : sed vestigia terrent. »

Un peu plus tard enfin, le 3 avril, il décrit encore l’effort considérable tenté par le gouvernement anglais dans toutes les cours pour amener une réconciliation générale de toutes les puissances, Prusse et Autriche comprises, mais dont la France serait exclue, prélude évident d’une coalition qui serait bientôt dirigée contre elle. « La susdite cour, dit-il (l’Angleterre), travaille à Pétersbourg, à Madrid, à Turin, à Dresde, pour amener sa réconciliation avec nous. Le ministre de Russie, le comte Kaiserling, qui n’est pas informé des vrais sentimens de sa cour, et ne connaît pas notre secret, se donne à cet effet toute sorte de peines, et a demandé une audience à Leurs Majestés Impériales. La même demande a été faite par le comte Canale et M. Burmania (les ministres de Sardaigne et de Hollande). On attend le ministre de Hanovre d’un jour à l’autre, qui n’épargnera certainement rien pour soutenir les vues de l’Angleterre… Quoique nous ne faiblissions pas sur nos principes et renvoyions toutes ces cours avec des réponses négatives, il y a pourtant contre moi personnellement un orage qui est déjà très fort et le deviendra plus encore à mesure que le bruit de nos négociations secrètes se répandra davantage. On en est même déjà à chercher un moyen de me renverser : je m’en ris et désire seulement que notre traité défensif soit fait bientôt pour que je puisse tranquilliser certains esprits[1].

La fortune ministérielle de Kaunitz n’intéressait que très indirectement

  1. Kaunitz à Stahremberg, 4, 22 février, 3 avril 1756 (Archives de Vienne). — Le dessein de l’Angleterre de former une coalition contre la France est signalé par Marie-Thérèse elle-même dans une lettre écrite (après la conclusion du traité avec la France) à son beau-frère, Charles de Lorraine, où elle lui explique les motifs qui l’ont empêchée d’y entrer, — « Peu s’en faut, dit-elle, qu’on ne m’ait formellement proposé d’entrer dans cette alliance, sous le faible prétexte de former une ligue formidable contre la France. » — (Marie-Thérèse à Charles de Lorraine, 14 mai 1756. — Archives de Bruxelles.) — Bernis, de son côté (Mémoires, t. I, p. 260), mentionne la crainte de cette chance parmi les motifs qui amenèrent le traité dont il fut l’auteur. « Si le roi, dit-il, refusait l’alliance de la cour de Vienne, il risquait de voir l’impératrice prendre des mesures avec l’Angleterre, et ne pouvant plus compter sur l’alliance de Berlin, il se trouvait par là exposé à la ligue des principales puissances d’Europe. »