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Sans doute il était pénible pour Marie-Thérèse de voir son ancienne alliée rechercher l’intimité d’un rival qui l’avait dépouillée : c’était un dangereux encouragement donné à des visées ambitieuses qu’elle n’avait que trop de motifs de craindre. Souveraine d’un État catholique, elle avait aussi raison de s’alarmer de l’ébranlement que pouvait causer à l’équilibre religieux, toujours instable, de l’Allemagne, l’union des deux grandes puissances protestantes. Mais c’était là, soit affaire de sentiment, soit vues de prudence lointaine. Prise à la lettre dans ses termes exprès et dans son application immédiate, la convention de Westminster ne contenait rien qui atteignît directement l’impératrice, rien qui fut contraire aux conditions qu’elle avait dû accepter elle-même à Aix-la-Chapelle, et à la place encore très considérable que le nouvel état de l’Europe et de l’Allemagne assurait à sa maison impériale. L’Angleterre prétendait même et se croyait en mesure de lui démontrer que rien n’avait été fait ni signé qu’en vue de prévenir toute agression prussienne contre ses États et de faire respecter le territoire de l’empire dont son époux était le chef. Aussi tenait-on avec soin, à Londres, le protocole ouvert pour attendre une adhésion de l’Autriche que le ministre britannique à Vienne ne cessait pas de solliciter. Et de fait, une vaste coalition, où la Prusse et l’Autriche auraient siégé aux deux côtés de l’Angleterre et dont une hostilité commune contre la France eût été le lien, c’était le rêve de tous les politiques anglais, car c’eût été l’accord complet fait à Londres entre les prédilections royales et les sympathies populaires : en sorte qu’à l’argumentation favorite de Kaunitz, un contradicteur aurait pu répondre que, si l’Autriche était réduite à l’isolement, c’est qu’il lui avait convenu de s’y mettre et qu’il lui convenait d’y rester.

Tant que la négociation commencée avec la France se poursuivait avec un espoir de succès, l’Angleterre frappait inutilement à la porte et avait peu de chance d’être écoutée. Une trop forte répugnance éloignait l’impératrice d’une combinaison dont la condition préliminaire et indispensable eût été la franche acceptation d’un état de choses qui lui était odieux, l’oubli de ses injures passées, la perte de tout espoir de vengeance. Mais que la France intimidée, hésitante ou dominée par des habitudes de méfiance invétérées, vînt, à la dernière heure, à refuser ou à mettre à trop haut prix sa signature, il était certain qu’à l’instant tout devait à Vienne changer de face. Les vieux conseillers, qui n’étaient entrés qu’à regret dans des voies nouvelles, et dont l’événement aurait justifié les fâcheuses prévisions, allaient relever la tête : l’empereur, resté au fond de l'âme en sympathie avec eux, eût peut-être cette fois, par extraordinaire, élevé la voix dans son