Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été mieux respectée. Il est maître de se prononcer dans le sens qui lui conviendra. Si le gouvernement a des idées très arrêtées sur la conduite à suivre, il a évité avec un soin scrupuleux de faire ce premier pas qui aurait engagé non seulement lui, mais le Parlement et le pays, sans que ces derniers aient eu le temps et le moyen d’exprimer leur volonté. Le gouvernement, lui, a son opinion faite : il l’a montré en déposant tout de suite une demande de crédits de 65 millions, en vue d’envoyer 15 000 hommes à Madagascar et de les diriger sur Tananarive. Une commission sera nommée aujourd’hui même pour étudier ces propositions.

L’attitude de la Chambre, pendant le discours de M. le ministre des affaires étrangères, a été très significative : elle a été silencieuse, recueillie, presque impassible. Le temps est passé où il suffisait de parler de Madagascar pour provoquer sur tous les bancs, depuis l’extrême droite jusqu’à l’extrême gauche, un entraînement auquel personne n’échappait. Depuis lors, on a pris des renseignemens, on s’est éclairé, on a su qu’un tiers à peine de la grande île était utilement cultivable, que tout d’ailleurs y était à faire, qu’il n’y avait pas la moindre route, pas même de sentiers, et que la fièvre s’étendait comme un mur de défense sur presque toutes les côtes. Ceux qui croient et qui disent que Madagascar serait une colonie supérieure au Tonkin n’ont certainement consulté aucun de ceux qui en sont revenus. La vérité, et la Chambre en a le sentiment, est qu’il s’agit là d’une entreprise de longue haleine, sérieuse, coûteuse, qui demandera des efforts considérables, lesquels seront peut-être médiocrement rémunérés dans l’avenir. Des fautes nombreuses, commises depuis 1885, nous ont amenés peu à peu à la situation où nous sommes. Cette situation est d’autant plus grave que notre liberté de détermination est plus apparente que réelle, et que, s’il est permis d’hésiter sur ce qu’il y a à faire, il faut pourtant faire quelque chose Nous ne pouvons, ni abandonner Madagascar, ni nous y réduire à une situation inférieure à celle dont nous jouissions avant 1885. Nous ne pouvons pas supprimer dix années de notre histoire, désavouer les responsabilités encourues, renoncer à des droits déjà chèrement acquis, nous dérober enfin à des devoirs internationaux que nous avons acceptés. La Chambre a bien fait de prendre le temps de réfléchir ; mais, plus elle réfléchira, plus elle comprendra l’impossibilité de reculer.

Tout ce qu’elle doit demander au gouvernement est de ne faire que ce qui est indispensable pour atteindre le but, et, surtout, elle ne doit pas permettre que ce but se déplace ou se dénature dans le cours des opérations. La conquête pure et simple de Madagascar et la substitution de notre souveraineté à celle des Hovas ont des partisans très ardens, mais, à notre avis, très légers et très imprudens. Ce serait folie de compliquer par des prétentions semblables une entreprise qui est déjà