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voyant le sentiment de la Chambre et l’espèce d’entrainement qui en résultait, il a promis de présenter un projet de loi « sur » les incompatibilités qui peuvent exister entre les fonctions publiques et les mandats électifs, mais s’est refusé à prendre l’engagement d’en présenter une qui établirait nécessairement et dans tous les cas cette incompatibilité. La loi sera-t-elle sur, sera-t-elle contre la compatibilité ? On n’imaginerait pas le parti que les radicaux ont tiré de cette distinction qui rappelait la Folle Journée de Beaumarchais. Un moment, au milieu d’un si grand tapage, le gouvernement a paru en danger. Il a montré une fermeté dont il est juste de lui savoir gré et qui a conservé la question intacte. La Chambre la résoudra, après l’avoir étudiée, par un vote réfléchi et non pas par un ordre du jour de circonstance. Au fond, le gouvernement a défendu sa liberté.

Mais de tous ses succès, le plus grand, à coup sûr, a été celui que lui a procuré l’interpellation relative à l’orphelinat de Cempuis. Nous ne reviendrons pas sur cette affaire à la fois lamentable et ridicule. Tout ce qui a été dit à ce sujet a été pleinement confirmé et aggravé par les explications de M. le ministre de l’instruction publique. La séance a été curieuse, et même amusante. M. Lavy, député radical, qui ne manque pas de facilité, mais qui en a, ce jour-là, malencontreusement abusé, a parlé pendant deux heures et demie, et de son discours se dégageait en plein relief la figure d’un M. Robin, grand philosophe, admirable éducateur, pédagogue presque génial, que tous ses élèves adoraient et auquel les plus hautes autorités rendaient hommage. Très cruellement, M. le ministre de l’instruction publique avait refusé à M. Lavy de lui communiquer son dossier, et il l’a laissé s’enferrer jusqu’à la garde. Après quoi, il a pris la parole. Jamais assemblée n’a été en quelques minutes plus complètement retournée. Les faits, drus, serrés, pressés, se succédaient à la charge de M. Robin, et chacun d’eux était une preuve éclatante de la détestable éducation que l’on donnait à Cempuis. Le choix des professeurs était livré au hasard. M. Robin prenait tout ce qui se présentait, Hongrois, Polonais, Italiens, Allemands ; nous croyons même qu’il y a eu un Chinois. Enfin, des actes d’immoralité très graves se sont produits, notamment par le fait d’un professeur qui a commis six attentats à la pudeur sur des petites filles de moins de treize ans. M. Robin l’a renvoyé, mais, au lieu de signaler les faits à la justice, il les a soigneusement cachés. Bien plus, il a donné au coupable un certificat où il lui refusait à la vérité les aptitudes pédagogiques, mais où il le déclarait propre à rendre de bons services dans le commerce ou dans l’industrie. A partir de ce moment, la cause était entendue. L’extrême gauche était atterrée, anéantie. L’enseignement internationaliste de Cempuis n’a pas provoqué une indignation beaucoup moins vive lorsqu’on en a connu les détails. Les auteurs de l’interpellation se sont empressés de