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autre chose à connaître. On ne peut pas lui demander de s’embrouiller dans des distinctions où se perdraient les plus fins casuistes. Il a des conditions d’existence qu’il ne lui est pas permis de laisser altérer. Si certaines consciences sont trop délicates ou trop hères pour se soumettre aux obligations d’un fonctionnaire, ceux qui en sont affligés n’ont qu’à se rappeler que nul n’est tenu d’être fonctionnaire. Que ne donnent-ils leur démission ? Rien ne serait plus franc, plus digne, plus respectable. Tout le monde les approuverait. Ce qui n’est ni franc, ni digne, ni respectable, c’est le fait d’un magistrat qui applique la loi dans le prétoire, et qui la déclare odieuse et inique dans un conseil général ; et c’est, d’une manière plus générale, le fait d’un fonctionnaire qui, tout en restant l’agent d’un gouvernement, le trahit. M. Dupuy n’avait pas autre chose à dire à la Chambre, et c’est bien d’ailleurs ce qu’il lui a dit.

Mais, presque aussitôt, la discussion a dévié, et on a vu se produire sur un très grand nombre de bancs l’opinion très nette qu’il y avait incompatibilité irréductible entre les fonctions publiques salariées et un mandat électif. Les Chambres, lorsque le gouvernement n’a pas assez d’autorité pour les en dégager, sont à la merci de l’incident du jour ; l’impression qu’elles en éprouvent les empêche de voir au-delà. Elles oublient combien il est dangereux de légiférer par voie de motions spontanées, c’est-à-dire irréfléchies. Quand une solution leur paraît très simple, elles sont portées à la croire très bonne et elles mettent une sorte d’impatience à la voter. C’est un peu ce qui est arrivé l’autre jour. La majorité de la Chambre pensait évidemment que le moyen le plus sûr d’empêcher le retour de scandales qu’elle réprouvait était d’interdire aux fonctionnaires l’entrée des assemblées électives. Le moyen est efficace, en effet, mais il a le défaut de priver ces assemblées des lumières que leur apportent très utilement des magistrats, des ingénieurs, des professeurs, etc. Le plus grand nombre s’abstient très correctement de faire de la politique ; faut-il, pour la faute de quelques-uns, les expulser tous ? Une mesure aussi radicale n’est pas sans inconvénient. Elle a celui d’ouvrir de plus en plus la porte aux seuls politiciens de profession, qui déjà envahissent tout et ne rehaussent rien, ni au point de vue du caractère, ni au point de vue de la compétence. On a raison de fermer aux fonctionnaires les assemblées politiques, mais les conseils généraux ne font pas de politique, ou du moins ne doivent pas en faire. S’ils en font, ils violent la loi, et les fonctionnaires qui s’associent à cette violation sont doublement coupables. Il y a certaines incompatibilités locales qu’il serait sage d’introduire dans la loi. On comprendrait très bien, par exemple, qu’un fonctionnaire ne fût pas éligible dans le ressort, ou même dans le département où il exerce sa fonction : aller plus loin serait inutile et excessif. Telle était, sans doute, la pensée du gouvernement lorsque,