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yeux de la Chambre, M. Mirman était donc éligible lorsque, au mois d’août 1893, il s’est présenté aux suffrages des électeurs de la Marne. Dès lors, il avait été valablement élu et, une fois député, nul ne pouvait l’arracher à son mandat. Telle était la thèse des radicaux : elle a une apparence de logique dont beaucoup d’esprits ont été séduits. La Chambre est souveraine en matière de validation d’élections ; elle prononce sans appel ; par conséquent, M. Mirman bénéficie aujourd’hui de la chose jugée, et personnellement il est hors de cause ; mais une jurisprudence peut en remplacer une autre, et il est à souhaiter que la Chambre ne maintienne pas dans l’avenir celle qu’elle a adoptée. A notre avis, M. Mirman n’était pas éligible en 1893. La loi dit, en effet, que nul ne peut être élu s’il n’a pas rempli ses obligations militaires, et ces obligations, tout le monde les connaît aujourd’hui que la loi est égale pour tous. Chaque citoyen valide doit servir trois ans sous les drapeaux, ou dix ans dans l’Université. Il y a équivalence entre les services. On peut choisir le régiment ou la chaire du professeur ; mais, quand le choix est fait, il faut s’y tenir et remplir son engagement jusqu’au bout. On n’est éligible qu’après en avoir été régulièrement libéré. Il serait trop commode d’échapper au service militaire à vingt et un ans, puis à l’Université à vingt-cinq en se faisant élire député. Sans doute, les cas de ce genre ne peuvent pas être bien fréquens, mais ils n’en sont pas moins scandaleux, et peut-être, en un sens, le sont-ils encore davantage par le fait qu’ils ne peuvent être le privilège que d’un petit nombre. Si M. Mirman avait été dispensé du service militaire, il y aurait eu là une atteinte à ce sentiment de l’égalité qui est si vif dans tous les cœurs. On n’aurait pas manqué de dire que les députés se mettaient personnellement au-dessus des lois qu’ils font pour les autres, et leur considération n’en aurait pas été augmentée. La Chambre aurait certainement mieux fait de s’inspirer de ces considérations lorsqu’elle a eu à discuter la validation de M. Mirman ; elle a cédé alors à cette faiblesse qui est encore moins rare dans les corps collectifs que chez les individus, et qui consiste à remettre à plus tard, à abandonner aux circonstances, à laisser à d’autres la solution des difficultés embarrassantes. M. le ministre de la guerre a fait son devoir l’année dernière lorsqu’il a déclaré qu’à ses yeux M. Mirman, après avoir rompu son engagement décennal, retombait sous le coup de la loi militaire et que, au commencement de novembre 1894, il devrait rejoindre son corps. La Chambre était donc avertie. Elle a pensé qu’en un an il pouvait se passer bien des choses, et que le roi, l’âne ou moi serions morts. A quoi bon se mettre en peine par avance d’un problème qui peut-être ne se poserait pas ? Le problème s’est posé ; on savait comment il était résolu dans la pensée de M. le ministre de la guerre ; la Chambre a eu le bon sens de se rallier à cette interprétation de la loi. Elle a corrigé autant qu’il était en elle le mal qu’elle