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virile, c’est le sujet de Gismonda ; — et c’est le Maître de forges.

Je n’ai pas dissimulé les faiblesses et les insuffisances du drame de M. Sardou. Le sujet en est banal, l’étude des sentimens y est sommaire, la peinture des mœurs n’y est pas. D’où vient que tout de même le spectacle en est très attrayant et laisse une impression d’art ? Cela vient de l’agencement de l’œuvre et de l’arrangement des parties. Sans doute le milieu n’est guère étudié et les indications qu’on nous donne sentent leur fantaisie. Mais justement nous nous apercevons tout de suite que nous sommes au pays de la fantaisie, dans un monde que les lois de la logique ne gouvernent pas. Nous prenons les dispositions convenables. Nous ne nous étonnons pas si l’intrigue est romanesque et nous n’attendons pas qu’on nous ouvre sur les profondeurs du cœur humain des perspectives très vastes. Il nous suffit qu’on ne nous fasse pas trop délibérément violence, et nous savons gré à l’auteur d’avoir traité avec légèreté un sujet léger. Il a eu soin d’ailleurs d’occuper notre esprit, afin de ne pas nous laisser le loisir de réfléchir et de nous reprendre. Enfin par une défiance de soi où il entre quelque modestie, il a fait appel au concours du décorateur et du costumier. L’œil est amusé. Dans les momens où l’on ne se soucie pas d’entendre, on peut regarder. Quoi qu’on en puisse dire, la mise en scène a son importance au théâtre. Un auteur est en droit d’user de tous les moyens dont il dispose pour s’emparer de son spectateur. La mise en scène, les faits, les sentimens, le dialogue dans Gismonda, composent un ensemble harmonieux. Cela même en fait la valeur d’art. La pièce n’ennuie pas un instant, et, après tout, le divertissement du théâtre n’a pas été inventé pour faire peser sur les hommes assemblés quatre heures d’ennui. C’est par là que s’explique le succès de Gismonda, et pour cela qu’il comporte un enseignement.

La pièce est encadrée avec beaucoup de goût. Elle est jouée à merveille par Mme Sarah Bernhardt. A peine est-ce si on peut lui reprocher dans les premières scènes quelque afféterie, et quelque excès dans les passages de violence. Partout ailleurs, pour l’expression et pour les attitudes elle est admirable. Rarement nous l’avions vue plus séduisante ; et elle est bien la seule qui nous ait fait entendre des accens d’une si pénétrante tendresse. M. Guitry est un Almerio suffisant. M. de Max a dessiné de l’évêque Sophron une silhouette très pittoresque et tout à fait amusante. Les autres rôles, qui sont de second plan, sont convenablement tenus.


RENE DOUMIC.