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Je ne puis m’empêcher de signaler encore, avant de quitter la España moderna, un curieux article de M. Pirala sur le mariage du roi Alphonse XII avec sa cousine doña Mercedes, la fille du duc de Montpensier. On sait que c’est un peu contre le gré de tous que le jeune roi a épousé sa cousine, dont il était passionnément amoureux, et dont la mort, moins d’un an après, devait lui laisser de si cruels regrets. Mais on ignorait jusqu’ici, — et l’on sait maintenant, par le récit de M. Pirala, — que ce projet de mariage a failli, un moment, amener en Espagne une nouvelle révolution.

C’était en 1876. Le jeune roi venait de se fiancer officiellement avec dona Mercedes. Il l’avait fait, en vérité, contre le gré de tous ; et il ne lui avait pas fallu moins que la force de son amour pour oser tenir tête à une opposition aussi unanime. Non seulement il avait contre lui sa mère la reine Isabelle, qui gardait trop de rancune au duc de Montpensier pour se résigner à le voir de nouveau sur les degrés du trône ; mais tous les gouvernemens de l’Europe désapprouvaient le projet, tous jugeant dangereuse pour l’équilibre européen cette union du roi d’Espagne avec une princesse de la maison d’Orléans, sœur de la comtesse de Paris. Les ministres du roi, d’autre part, craignaient que le projet de mariage ne produisît mauvais effet sur les Chambres, qui allaient précisément rouvrir leur session. Et de toutes parts c’étaient des brochures anonymes, des entrefilets menaçans dans les journaux, dans ceux surtout que subventionnait la reine Isabelle.

Mais Alphonse XII tenait bon ; et chaque jour il affirmait plus nettement sa résolution de n’écouter que son cœur. Un jour, tandis qu’il voyageait en Castille, la reine Isabelle accourut secrètement à Madrid (où il lui avait été interdit d’entrer), s’installa à l’Escurial, et adressa une circulaire à tous les membres du corps diplomatique, les invitant à venir la voir le lendemain au château de la Granja. Aussitôt le marquis de Cabra prévint le jeune roi, qui eut encore le temps de rentrera Madrid avant l’heure de cette séance, qu’il s’agissait d’empêcher. Il s’enferma avec sa mère dans un cabinet du palais, usa de tous les moyens de persuasion, représenta que tout autre mariage serait impossible, même au point de vue politique, et finit par obtenir gain de cause. La reine Isabelle consentit même à se montrer en public avec son beau-frère le duc de Montpensier ; après quoi elle revint s’installer à Séville. Ainsi tout se termina pour le mieux ; et ce petit coup d’État manqué eut simplement pour effet de hâter le mariage du roi avec sa belle cousine.


Je me réserve de parler en détail, une prochaine fois, d’une autre