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qui, tout au long du chemin, s’amusent à débattre, avec force grivoiseries, des problèmes de politique ou de littérature.

Parmi les autos d’Encina, l’un des plus remarquables est l’Auto de Rapelon, ou acte de querelle. Sa popularité fut énorme, et il servit de modèle à toute une série de pièces analogues, de telle sorte que son titre devint le nom d’un nouveau genre dramatique. Le sujet est des plus simples, et fait songer à des mimes anciens. Deux bergers, venus au marché de Salamanque, sont entourés et houspillés par une bande d’étudians. Terrifiés, ils se réfugient dans une auberge. Ils y rencontrent un autre berger, Piernicurto (courte-cuisse), qui prend leur défense et, par ses belles paroles, les délivre de leurs persécuteurs. Ce Piernicurto est un paysan déjà déniaisé par un assez long séjour dans la ville : type curieux, qui va se retrouver non seulement dans le théâtre, mais aussi dans le roman espagnol. Une longue discussion s’engage entre lui et les deux bergers : d’abord violente et grossière, elle passe insensiblement à des sujets plus élevés, pour aboutir à une éloquente dissertation sur le bonheur des pauvres d’esprit.

Deux autres ouvrages d’Encina, l’Eglogue de Placide et Victorien et le poème du Triomphe de l’Amour, comptent également parmi les chefs-d’œuvre de la littérature espagnole de la Renaissance. Ils sont intéressans plus encore par la pureté et la perfection du style que par la nouveauté du plan dramatique. Encina ne s’est point contenté de traduire Virgile, il l’a constamment imité, imprégnant d’une grâce toute classique la langue dure et sèche des vieux auteurs espagnols.

Son Art poétique suffirait d’ailleurs à prouver l’importance qu’il attachait aux questions de forme. Des neuf divisions dont il est composé, cinq sont consacrées à établir les règles de la technique du poète. Voici les titres de ces neuf divisions : 1° La naissance de la poésie espagnole ; 2° L’art du trouvère ; 3° Différence entre le poète et le trouvère (c’est la différence du capitaine à l’écuyer, du maître à l’esclave) ; 4° Conditions requises pour être admis à l’étude de l’art du poète ; 5° Mesure et distribution des pieds syllabiques ; 6° La rime ; 7° La différenciation des couplets ; 8° Les licences poétiques et autres ornemens ; 9° Comment doivent se lire et s’écrire les couplets.

Dans tous les articles de critique et d’histoire que publient les revues espagnoles, un nom se trouve invariablement cité, avec toutes les marques d’une respectueuse admiration : le nom de M. Marcellin Menendez y Pelayo, membre de l’Académie Royale de Madrid. Et en effet M. Menendez y Pelayo occupe dans la littérature espagnole contemporaine une place très considérable. Il est le maître incontesté de la critique : catholiques et libres penseurs, conservateurs et révolutionnaires, tous