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du texte primitif de Cervantes ont été coupés au cours de l’impression. L’un était intitulé : De ce qui arriva à don Quichotte dans un bal masqué. On y voyait le chevalier se rendant à ce bal, armé et sans masque, et derrière lui venait Sancho vêtu en pénitent. Sur le conseil de Sancho, une dame s’adressait à don Quichotte, le suppliait de l’aider à sortir de la captivité où la tenait an méchant vieillard, son tuteur. On se mettait à table, après de nombreuses mésaventures. La dame s’asseyait près du chevalier : et comme le vieux tuteur essayait de l’en déloger, don Quichotte fondait sur lui, renversait la table, recevait une abondante volée de coups de bâtons.

Mais il prenait sa revanche au chapitre suivant, qui a également disparu du texte imprimé, et dont nous ne possédons également qu’une courte analyse. Dans ce second chapitre don Quichotte, miraculeusement guéri de ses blessures par une application de son fameux baume, recevait la visite de la jeune dame et s’entretenait très tendrement avec elle. Encore ne tardait-elle pas à le tromper avec don Antonio, ce dont le fidèle Sancho s’empressait de l’avertir. Mais don Quichotte mettait la chose au compte des enchanteurs ses ennemis, Et très volontiers il accédait au conseil de son cher don Antonio, qui l’engageait à aller sur le port pour y visiter les galères.

Pourquoi Cervantes a-t-il coupé ces deux chapitres ? Et que sont-ils devenus ? C’est ce que les érudits espagnols n’ont encore pu découvrir. Du moins ils ne se sont pas fait faute de chercher. M. Asensio raconte le curieux épisode des efforts de l’Académie Royale de Madrid pour obtenir communication de prétendus chapitres inédits de Don Quichotte qui, après avoir appartenu à la bibliothèque de Francfort-sur-le-Mein, se trouvaient en 1822 entre les mains de l’ambassadeur de Prusse à Paris. Enfin on fut admis à consulter les précieux documens. Hélas ! il y était bien question de don Quichotte, mais c’était une addition postérieure, où jamais Cervantes n’avait mis la main.


C’est que les admirateurs de Don Quichotte ne se sont pas fait faute, durant deux siècles, de compléter ou de corriger à leur gré le texte de Cervantes. Mainte édition du livre contient des parties entières ainsi modifiées, et le nombre des additions égale au moins celui des coupures. M. Asensio cite le trait vraiment curieux d’une édition espagnole publiée à Milan en 1610, et où les éditeurs ont remplacé l’épître dédicatoire de Cervantes par une autre de leur cru. Don Quichotte, comme l’on sait, était dédié au duc de Béjar. Mais les éditeurs milanais ont trouvé plus à propos d’en faire hommage au comte Vitaliano Visconti. « Sachant, lui disent-ils, que Votre Seigneurie daigne s’intéresser à la langue castillane, nous lui dédions cette histoire de l’Ingénieux Hidalgo. Nous l’aurions volontiers publiée en langue italienne ;