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première atteinte après la naissance de l’enfant. Les faits dans lesquels on voit un individu qui n’a pas encore été aliéné transmettre à ses descendans la prédisposition à le devenir montrent bien que ce qui se transmet, ce n’est pas la maladie elle-même, mais bien l’aptitude à l’acquérir. Il n’est pas très rare d’ailleurs de voir un fils atteint d’une névropathie dont son ascendant ne sera affecté que plus tard. L’hérédité morbide élude souvent la loi de l’homochronie.

L’hérédité accumulée aboutit à la production d’individus souvent reconnaissables à des malformations physiques, et à des émotivités anormales, qui constituent ce qu’on appelle les stigmates physiques et les stigmates psychiques de la dégénérescence. Toutefois on ne peut pas dire que l’hérédité imprime à la folie des caractères absolument spéciaux ; mais il faut reconnaître que les héréditaires, plus sensibles aux excitations de toutes sortes, souffrent plus souvent d’accès aigus sous l’influence de causes insignifiantes et, plus souvent chez eux, ces accès disparaissent aussi facilement et aussi subitement qu’ils se sont produits.

C’est dans la folie qu’on observe le plus souvent la transmission similaire, mais certaines formes sont plus aptes à passer d’une génération à la suivante, par exemple la folie du suicide. On cite une famille dont dix membres se donnent la mort dans l’espace de cinquante ans. Un des faits les plus curieux de ce genre est rapporté par le névrologiste américain Hammond : un individu âgé de 35 ans se coupe la gorge avec un rasoir dans un bain ; il laisse trois enfans : deux fils qui se tuent au même âge et de la même manière ; une fille qui, à 35 ans, se détruit aussi en se coupant la gorge dans un bain ; cette dernière seule a un fils qui, après deux tentatives avortées, se tue à 31 ans par un procédé identique.

Parmi les faits les plus propres à démontrer le caractère familial des affections mentales, il faut citer les cas de folie gémellaire et certains cas de folie collective développés dans une même famille. On rapporte des faits bien observés de jumeaux atteints des mêmes troubles psychopathiques, se manifestant par accès contemporains, bien que ces individus fussent séparés l’un de l’autre par de longues distances.

Aujourd’hui, on ne peut pas mettre en doute l’hérédité des troubles mentaux, aussi bien de ceux dont on ne connaît pas les lésions anatomiques que de ceux qu’on croit connaître mieux, comme la paralysie générale et la démence sénile. Mais ce dont il est encore moins permis de douter, c’est que le plus souvent il ne s’agit pas d’hérédité directe et similaire, mais ordinairement d’hérédité dite collatérale et dissemblable. Le fils peut ne pas hériter