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caricatures où il donnait à son protecteur des leçons de grâce et de dignité. Après la seconde Restauration, les attaques se renouvelèrent plus violentes, et Talma craignait beaucoup leur effet, pour sa tranquillité d’abord, ensuite pour sa pension ; mais il eut la chance de rencontrer un défenseur autorisé dans Brifaut, qui publia une lettre où il justifiait habilement Mlle Mars et le tragédien : on accusait faussement celui-ci de ne pas aimer le roi, et il eût été digne de mépris s’il n’eût donné quelques souvenirs à son bienfaiteur. À son retour de l’île d’Elbe, Napoléon, revoyant Talma, l’avait interrogé : « Le roi vous a parlé ? — Avec une extrême bonté, » répondit l’acteur. Brifaut arrangeait peut-être l’entretien pour les besoins de la cause ; en tout cas, Louis XVIII, qui avait l’art du compliment, eut la délicatesse d’ajouter à ses éloges ce mot, qui leur donnait plus de prix : « J’ai pourtant le droit d’être difficile, j’ai vu jouer Lekain. » Le 16 novembre, accompagné de Monsieur, du duc d’Angoulême, de Madame et du duc de Berry, le Roi se rendit à la Comédie : dès cinq heures du matin des gens armés de lanternes faisaient queue ; le contrôle fut culbuté, nombre de curieux entrèrent dans la salle sans billets, et les places du parterre se vendaient jusqu’à cent vingt francs ; une partie de la première galerie avait été convertie en loges découvertes pour la famille royale. À sept heures, le duc de Duras, premier gentilhomme de service, se présentait seul dans la loge royale, et annonçait : Le Roi ! L’émotion des spectateurs alla au paroxysme, à la vue de la duchesse d’Angoulême, la prisonnière du Temple ; on pleurait, on criait. Talma, dans le rôle de Néron, fit merveille.

Il a d’ailleurs atteint sa propre perfection ; et, pendant les douze années qui lui restent à vivre, les amateurs et la foule, Paris et la province le proclament le tragédien idéal, au-dessus de l’éloge, au-dessus de la critique. Désormais son histoire est surtout celle de ses rôles, et l’on peut passer sous silence sa séparation d’avec Mme Talma, les incohérences de sa vie privée, quelques démêlés avec le Comité administratif de la Comédie au sujet de trop fréquentes absences. Au commencement de 1826, sa santé, toujours chancelante depuis la perte de sa fille, commença de s’altérer profondément. Le 13 juin, il paraît pour la dernière fois sur la scène dans le rôle de Charles VI, et bientôt les médecins durent se déclarer impuissans. Le 12 octobre, sept jours avant sa mort, Dupuytren chargea son neveu, M. Amédée Talma, de l’avertir que l’archevêque de Paris demandait souvent de ses nouvelles. — « Ah ! fit le malade, que je suis touché de son souvenir ! Je l’ai connu autrefois chez la princesse de Wagram. C’est un bien digne homme ! — Mais, reprit le neveu, il est venu déjà te voir : je lui