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Vergennes et de cinq autres Adélaïdes, Desfaucherets compose une petite comédie entremêlée de couplets, où il joue avec Mmes de Rémusat, de Vintimille, etc., et le jeune Charles, qui remplit le rôle d’un petit Savoyard, qu’un diseur de bonne aventure convertit en automate pour attirer la foule. M. Tourotte et Mme de Rémusat ont commencé par un proverbe, Crescentini s’est fait entendre, on mange des glaces, et à minuit chacun se retirait fort content. Réunir cinquante personnes, les amuser pleinement, sans autre dépense qu’un léger effort de mémoire, trois paravens et un rang de bougies sur une planche, une telle simplicité ne semble-t-elle pas une leçon et une ironie pour ces maîtresses de maison qui entassent cinq cents invités dans un salon où deux cents à peine seraient à l’aise, et croient le bonheur de ceux-ci augmenté en raison directe des fleurs rares, des articles parus le lendemain, des artistes qu’on n’a point écoutés ?


XI

Désordre et Génie ! Ce titre d’une pièce de Dumas explique en un sens la vie de Talma[1]. Fantaisies d’artiste et de grand seigneur, passions et caprices, générosités de premier ou de second mouvement, réceptions fastueuses, manie de la bâtisse, imprévoyance égoïste, ignorance du prix de l’argent, goût du jeu vers la fin de sa vie, il semble rechercher avec ardeur toutes les occasions de pousser au pire ses affaires privées, quitte à s’étonner et se lamenter si la situation se tend de façon trop pénible, si les dépenses croissent en proportion géométrique et les recettes en proportion arithmétique, s’il oublie régulièrement de remettre à Mme Talma la somme nécessaire pour payer les fournisseurs et faire aller le ménage. Parts de sociétaires, congés, représentations à bénéfice, traitement de professeur au Conservatoire, aubaines de tout genre leur assurent une centaine de mille francs par an ; mais, semblable à cet ivrogne qui, s’il entend sonner deux sous dans sa poche, a pour quatre sous de soif, ses désirs dépassent ses facultés, et les architectes flattent sa ruineuse inconstance. A Brunoy, il habite le château pendant qu’il fait travailler aux communs, va se loger aux communs lorsqu’on rebâtit le château, et

  1. Th. Muret, l’Histoire par le Théâtre. — A. Dumas, Mémoires de Talma. — Mme de Staël, De l’Allemagne. — Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe. — Jules Simon, Une Académie sous le Directoire. — Charlotte de Sor, Napoléon en Belgique et en Hollande. — Audibert, Indiscrétions et Confidences, Louis XI, Retz et Talma. — Brifaut, t. Ier, pp. 216, 250 et suiv., 305, 306, 488. — Pontmartin, Épisodes littéraires, Causeries littéraires, t. V. — Véron, Mémoires d’un Bourgeois de Paris. — Laugier, Notice sur Talma. — Regnault-Warin, Mémoires sur Talma. — Legouvé, Soixante ans de souvenirs. — Régnier, Entretiens et études sur le Théâtre. — Copin, Talma pendant la Révolution et l’Empire, 2 vol.