Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/425

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bouffons (les Italiens), les deux premières cantatrices, Fertendis et Barilli, s’obstinent à ne pas jouer ensemble ; à l’Opéra-Comique, Martin, le rival d’Elleviou, en plein succès du Hullaht de Samarcande, se trouve empêché par un rhume subit, pour lequel M. de Talleyrand lui inflige dix-huit heures de prison. La prison ! mot magique qui assouplit les résistances les plus obstinées : sonne-t-il à leurs oreilles, les absens rentrent comme par enchantement, se déclarent prêts à chausser le brodequin et le cothurne, à prendre les deux masques.

Quant à Talma, ses dettes vont de pair avec ses maux de nerfs, mais l’on a peine à croire qu’il ne joue point de ces derniers. Mme Talma se jette aux pieds de Mme de Rémusat : elle va perdre son mari, il devient fou, ses meubles sont saisis. La jeune femme la console, demande où est Talma ; il attend dans un fiacre. « Je le fais venir ; il arrive comme un vrai spectre tragique, pille, maigre ; en entrant chez moi, il s’évanouit, il pleure, il crie et m’effraie véritablement. » Elle promet de solliciter un secours, l’engage à lui remettre un compte bien exact de ses dettes ; elle tâchera que son mari intervienne auprès de ses créanciers. Et lui de pleurer, de les appeler ses anges tutélaires, et l’aimable femme ne peut s’empêcher de pleurer aussi, de faire porter chez lui une vingtaine de bouteilles de bon vin de Bordeaux. N’y a-t-il pas là un peu de mise en scène ? Ne vous rappelez-vous pas le Joueur, les Fourberies de Scapin, et tous les bons tours qu’imaginent ces coquins de neveux pour duper les oncles débonnaires ; d’autant plus que le neveu Talma demeure incorrigible, et ne peut se tenir de gaspiller son argent après comme avant ?

Les comédiens reprennent le Festin de Pierre, le Mariage de Figaro, Manlius, Gaston et Bayard, pièce nationale remplie des plus belles applications. Puis ce sont les fêtes qu’on prépare pour le retour de l’empereur, avec quel enthousiasme ! Tout le monde désire la paix, on est excédé de victoires, blasé sur les miracles : la véritable gloire des femmes, c’est le bonheur ; et Dieu veuille qu’il ne faille pas se résoudre encore à de nouveaux triomphes ! L’Opéra prépare une apothéose assez étrange : il s’agirait de représenter, sur la scène les Tuileries le Carrousel, et l’empereur lui-même faisant son entrée triomphale. Quant aux Français, Dazincourt a apporté un projet que Mme de Rémusat envoie à son mari, et Lebrun se charge de l’ode.

Elle est accablée de lectures, mais ceci n’est pas pour lui déplaire, et les auteurs, qui ont bientôt flairé son goût littéraire, s’empressent de lui soumettre leurs manuscrits : ainsi font Lemercier, Legouvé, Alexandre Duval, Desfaucherets, Raynouard, et ils s’en trouvent fort bien, car elle défendra leurs intérêts, et ils rencontrent