Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/423

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ruses ? Mlle Georges demande un congé pour aller voir son père, qui se meurt ; mais, à peine arrivée à Amiens, elle y joue tant qu’elle peut. Et le chapitre des querelles féminines ! Louise Contat traite d’impertinente la petite Patrat, la menace de la faire chasser, parce qu’elle n’a pas admiré les débuts de sa fille. Si Mme de Rémusat n’y prenait garde, son temps se passerait à écouter ces doléances, et son salon semblerait celui d’une concierge.

Hélas ! les comédiens jouent dans le désert, ils servent toujours les mêmes pièces, et il y aurait besoin de donner à ces paresseux une façon, en terme de jardinier. Recettes nulles ; les chefs d’emploi sont à la campagne : Mlle Raucourt brille par son absence. Mlle Fleury par l’excès contraire ; tous les journaux les accablent de reproches mérités. Croiriez-vous qu’ils voulaient fermer boutique ? Mais elle s’y est opposée : ils joueront deux, trois fois par semaine, pendant le voyage de leurs camarades à Mayence. Encore un gros tracas, ce voyage ! car il a fallu expédier là-bas un lot de tragédiens, de tragédies ; et ce sont de nouvelles récriminations, les uns se plaignant de leur abandon, les voyageurs se disputant pour les voitures. Enfin Mme de Rémusat aplanit les difficultés ; elle fait le petit chambellan, va elle-même au foyer de la Comédie. Le 28, arriveront à Mayence les tragédies demandées, sauf le Cid, « parce que nous n’avons point de père noble » ; mais elle remplace le Cid par Horace, et Sa Majesté aura son compte. Et remarquez l’injustice humaine : le public murmure du départ des comédiens, qu’il n’allait pas entendre ; leur retour, de meilleures représentations, n’attirent personne (1804-1805) ; la concurrence des petits théâtres enlève à la Comédie sa clientèle qui court à de méchans mélodrames comme le Revenant de Bérézale. Seuls les Templiers font encore de l’argent. Oh ! ces Templiers ! Mme de Rémusat les goûte infiniment ; elle a assisté à la répétition générale, et elle a trouvé de grandes beautés dans cet ouvrage, des caractères et un style bien soutenus, un dialogue serré, un Philippe le Rel point trop odieux ni trop faible, un Jacques Molay ferme et vertueux sans arrogance ; Lafon, Baptiste aîné, Saint-Prix, Mlle Georges et Talma y remportent de grands succès, et maintenant on dispute sur les Templiers comme jadis sur Gluck et Piccini. Et le public juge comme Mme de Rémusat ; il applaudit trente-cinq fois de suite. « Enfin voilà un ouvrage bien écrit et français. On dit que cet auteur on a encore d’autres, tous tirés de l’histoire de France, ce qui me charme. Il essaie aussi un poème épique sur les Macchabées, dont nous entendrons quelques morceaux, si vous voulez, parce que Chaptal veut absolument m’amener l’auteur. » Mme de Rémusat rencontre des contradicteurs ; son mari d’abord, l’empereur ensuite, qui estime que la